Quelques mots avant la curée

Comme une déclaration d'intention aux nouvelles qui vont suivre...Ici le narrateur décide de trahir l' adage"pour vivre heureux vivons cachés" et s'engage à tout vous dire... Vous dire ce qui se cache derrière le miroir sans tein...

Qu'est ce que vous foutiez dans le pogo? (cliquez sur les titres)

Au concert, Le narrateur pris dans la transe érotico-électrique d’un pogo nous délivre une vision fantasmagorique de ses élucubrations rock § rollesques ...

Le beffroi de l'effroi!

Les aventures d'un groupe amateur face à "l'économie bistrotière" avec comme apothéose célinien un concert -concourt apocalyptique...en final un passage gentiment érotique pour apaiser les frustrations !

échouage maraboutique

soucieux de connaître la destinée de sa carrière musicale en pointillée, le narrateur consulte les augures tortueuses d’un marabout ..la séance est tout à fait stupéfiante !

distortions narcissiques

Polar social et ambiguë sur le sexe tarifé via les filières mafieuses de l’Est et le « miroir aux alouettes » de l’Occident ...l'amour lâche...l'amour à mort!

Quelques mots avant la curée

Bientôt...


Qu'est ce que vous foutiez dans le pogo ?

Pour Alias

« A la fin ma poitrine oppressée ,ne pouvant chasser avec assez de vitesse l’air qui donne la vie, les lèvres de ma bouche s’entrouvrirent et je poussai un cri... »
Les Chants de Maldoror , Lautréamont.

C’est une évidence, je ne vous apprends rien ! Les hommes ont bien des vices et si certains sont avouables, d’autres le sont peu ou à cacher d’autorité . A mon humble avis, celui qui me touche est tout à fait véniel et rentre ,je l’espère, dans la première catégorie : il ne s’agit que d’une petite marotte fantaisiste ...que d’une danseuse agile à ne pas fouetter un chat ...somme toute pardonnable et ne réclamant , jusqu’à nouvel ordre , ni la convocation du grand tribunal de l’Inquisition réanimé par les émules de feu monseigneur Lefebvre, ni la mobilisation des cellules « shoot to kill » anti-terroristes .
Je suis tout à fait inoffensif ... Sarkonégatif en quelle sorte .

Mais vous vous impatientez ! De quelle maladie ? De quelle curiosité à ne pas y croire ? De quelle difformité suis-je atteint ? Quelle cicatrice inavouable ai-je à cacher sous mes tee-shirts Goéland ? Rassurez vous rien de répugnant ! Il n’est ici ,question que d’un banal réflexe pavlovien, apparu durant mon adolescence et identifié depuis l’invention de la « fée électricité » ; nullement contagieux , il n’atteint étrangement qu’un faible pourcentage d’ individus par générations .
Quel est le symptôme ? Cela me titille l’oreille jusqu’à la turgescence , j’ai le tympan érectile ...

Que je vous raconte!!!
Le son d’une guitare électrique, , les larsens ,le martèlement d’une batterie ... les mimiques des musiciens, les chanteurs brailleurs ou susurrants... les slogans rageurs à hurler en coeur le poing serré, les mélodies poignantes qui vous égratignent à sang le coeur au papier Emery... les grands élans collectifs la larme à l’oeil... m’ont toujours fascinés.
Au premier son...devenu malgré lui un véritable « pousse au crime » ...je me transforme en victime potentielle d’une prochaine mutation génétique à l’ alchimie complexe... je grince des dents, j’agite les bras, plie les orteils ,creusant irrémédiablement l’intérieur de ma chaussure ... une sourde, confuse, mais bien réelle onde de chaleur me traverse le corps ...des synapses mystérieuses rentrent aussitôt en contact dans mon cortex déclenchant la sécrétion de substances inédites plus efficaces , j’imagine, que le classique Pot Belge .
Tendu comme un arc, je ne me contrôle plus ! Le peu de raison qu’il me reste s’effiloche... je deviens enragé et déterminé à bousculer les individus qui ont la malchance de faire obstacle à mes pulsions , à égarer dans la cohue mes compagnons de périple, à doubler les râleurs ordinaires dans la queue docile et presque méprisable , à refuser de payer le tarif en vigueur, souvent prohibitif , voire à forcer le passage ...en me glissant sous des bâches, en défonçant une porte dérobée , en sautant par dessus un mur incrusté de débris de verre ... tout cela sans aucuns scrupules.
Je ne suis plus alors qu’un insecte suicidaire aimanté par les néons brûlants, un délinquant des décibels qui au péril de sa modeste et fragile carcasse fonce en aveugle...
Sans espoirs de rémission, les concerts sont devenus la principale source des peines et des plaisirs : le karma, la route de Katmandou, le chemin des Dames ,la Jérusalem céleste ...de mon tympan borderline .

Il va sans dire que pour satisfaire mon addiction, cela nécessite en amont un travail long et méticuleux... Il faut en effet une bonne dose de patience ,de courage et d’abnégation pour scruter chaque espace d’affichage légal ou sauvage, le moindre fanzine photocopiée , le plus minuscule tract échoué dans le ruisseau et se forcer à lire les colonnes , « En concerts près de chez vous », de la presse spécialisée des inrocks et folks... écrites en très très petit. Une fois la cible repérée ! Je n’hésite pas à bafouer les règles les plus élémentaires de la circulation automobile et de la convivialité urbaine et familiale .En un mot je fonce ! Et encore je passe sous silence les mesquins aspects pécuniaires...en effet depuis la fin des années « 70 » les concerts, parfaitement intégrés au concept du néo-libéralisme sont rarement gratuits.
J’en suis là, et il n’existe pas encore de traitements connus , de patchs ni de pilules miracles et encore moins de numéro vert joignable 24/24 h !

Dans la place bien avant l’horaire fixé , ce qui peut paraître tout à fait stupide car les concerts commencent inexorablement en retard pour de multiples et inépuisables raisons : Groupe bloqué dans les embouteillages, incompétence du staff technique, repas dégueulasse et intoxication générale, sono défaillante dès la balance, guitares revêches inaccordables , ampli de location impossible à régler, groupe oublié dans les loges, chanteur dépressif ou capricieux, musicien greffé à son portable perdu dans les couloirs labyrinthiques, , descente de police prévue ou inopinée, alerte à la bombe... voire bagarre avec la première partie végétarienne et pas contente du tout de la tête de poisson , une cigarette dans la gueule, plantée là, sur leur table ...
Pourtant ma présence anticipée a une excuse imparable : il m’est impossible de rater ce moment extatique ou le temps sous les assauts de volutes libertaires se suspend dans les interstices exsangues et sensibles des mes images mentales à la vitesse de 24 images par seconde ... ce moment délicieux de béatitude candide propice à l’onanisme collectif : l’entrée de scène.
Mais avant ce moment singulier ,mon esprit se transforme en véritable disque dur prêt à emmagasiner le maximum d’informations que ne négligerait pas un socio-ethnologue doté d’un peu de conscience professionnelle .
Un rapide premier tour des lieux me permet de repérer rapidement les endroits stratégiques :

Tout d'abord le stand de merchandising avec ses maillots de corps hors de prix ,ses affiches qui reprennent la pochette du dernier CD que l’on achète dans un moment d’euphorie consumériste et que l’on n’accroche jamais nul part , ses vynils collectors multicolores quand plus personne ne possède de tourne disque en état de marche ! Les minables maquettes pourries et quasi inaudibles, enregistrées il y à des mois voire des années, éditées en CD pour l’occasion... La mail liste pour recevoir des nouvelles du groupe, en réalité de basses offres commerciales dont on en a rien à foutre ! Des sonneries de portables ,des assiettes et des porte-clefs et autres camelotes portant leur effigie ...
Le bar où se trouve quelques figures hautes en couleurs ,des têtes plus ou moins connues, souvent passablement désabusées ou démesurément enthousiastes .Je vous en reparlerai ! On n’est pas si nombreux à être atteint de cette déviance.

Mais ce qui monopolise avant tout mon attention c’est le lieu de tous les possibles , l’autel de toutes les décadences ... la scène.

En règle générale ,une analyse détaillée du matériel présent donne déjà une idée assez précise (à la condition d’être un peu affranchi) sur le concert à venir :
le couple diabolique guitare Gibson amplis Marshall qui a fait ses preuves depuis longtemps , la basse Fender et son ampli Ampeg, la batterie minimaliste (un seul petit tom, peu de cymbales) ,la grosse caisse pailletée au logo du groupe et les pédales d’effets vintages ...laissent présager les meilleures nuisances sonores typiquement Rock’roll .

Oui, la scène où devant l’agitation en apparence désordonnée des techniciens se mêlent la curiosité et le réel agacement. En effet, que font-ils ? Qui n’a pas vue un roadie frimer et déambuler sur les planches ,sans aucune raison apparente, pour vérifier dix fois le même micro et cela sous les légitimes sifflets d’impatience ?

Dans ce cas , les minutes durent des heures ,l’attente devient fébrile ,le tympan me gratte ,réclamant son du ! Je n’écoute plus que les dernières notes des titres qui passent dans la sono ... chaque fin laissant présager avec excitation l’arrivée imminente des musiciens, hélas de nouveau un morceau enchaîne dans la foulée puis encore un autre et encore un autre ...ça en devient oppressant !
Par expérience, je connais le signe annonciateur : l’agitation soudaine autour de la table de mixage et le clignement de la lampe torche agitée par un road sémaphore dans son éternel 100% coton Motorhead .Un groupe qui ,soit dit en passant, a assurément vendu plus de tee- shirts que de disques .

Pour jouir du temps et pour le tuer ! D’un regard circulaire, l’observateur attentif peut constater que la physionomie de la salle de concert ressemble curieusement à celle d’une légion romaine en ordre de bataille... à condition ,il est vrai, qu’il se rappelle vaguement de ses cours d’histoire de sixième ! Au premier rang se trouvent les centuries des jeunes excités, prêtes à en découdre frontalement et qui démarrent impétueuses au quart de tour assurant ,il faut le reconnaître, l’essentiel du spectacle par leurs sauts jubilatoires et leurs cris de gorilles émasculés et asthmatiques .
Au fond, se positionnent les vétérans qui ricanent goguenards tout en sirotant leur bière, échangeant comme aux courses , au bistrot ou autour d’une Corbeille tels des golden boys bien informés et sous amphétamines ... les derniers potins ,les noms des derniers groupes à la mode, ceux déjà has been, à rayer des listes sans plus attendre. . Je ne donne aucun nom, non, non... car quand vous lirez ces lignes la plupart seront déjà obsolètes où passés aux oubliettes ...allez, bon ! faisons nous plaisir en goûtant aux joies futiles de la médisance ! Je me lâche:
Que les oreilles sifflent sans faiblir pour le néo bab sous cellophane Devendra Banhart ...et en vrac sans aucune bonne foi, pour les insipides et gentillets Cold Play, pour les bodybuildés de Stereophonics, ,pour les pathétiques Libertines et leurs épigones ,pour les héros d’un quart d’heure d’Arcade fire, pour l’ insupportable Cali ,pour les pistonnés d’AS Dragon ainsi que pour tous les affreux du nu métal ...

Il va sans dire que les vétérans, l’age venant, se rapprochent de plus en plus du bar, cet l’ultime espace de repli et de ravitaillement, et ne se retrouvent devant la scène qu’en cas d’hécatombe ,de chaos total et définitif des premiers rangs .Ce qui arrive ,je l’avoue, presque jamais ! Sauf pour les rares concerts devenus désormais mythiques comme celui des Clash à Lille en 1980 ,où après le dernier accord, les survivants essoraient hébétés mais heureux leurs perfectos ...

Enfin, arrive la manipule du centre se composant des jeunes à la reluque , timorés car presque novices et de vétérans curieux et encore verts , souvent eux mêmes musiciens amateurs qui soudainement frappés de velléités de rock critiques viennent épancher bien inutilement leurs frustrations. De fait, ils n’ont jamais vu leur heure de gloire arriver mais implicitement savent que celle-ci est déjà passée ,trépassée, RIP...c’est triste ! ne leur reste que l’illusoire expérience comme ce détail technique pour les participants débutants encore sensibles aux conseils des aînés :
Prenez note !
Ces derniers laissent toujours un espace significatif ,un bon mètre minimum (une bonne enjambée!) avec les premiers rangs de sorte que chacun puisse en cas de nécessité effectuer un repli salutaire et salvateur sans affecter l'ensemble du dispositif. Tous pouvant ainsi jouir de la totalité de la prestation sans subir les assauts désordonnés, plongeants et acnéiques des juvéniles premiers rangs ! Technique doublement recommandable pour les fumeurs qui risquent soit de brûler les gesticulateurs imprudents, soit de sentir douloureusement s’écraser la cigarette sur leur visage à la peau déjà creusée ,jaune et cireuse voire vérolée telle celle de Michel Houellebecq ,le publiciste provocateur et avachi , mais somme toute assez clairvoyant, qui tout en attendant son hypothétique clonage tire fébrilement sur sa clope coincée ( le sommet du snobisme) entre le majeur et l ‘annulaire .

Mais assez de digressions, Rentrons au coeur de l’action ,il est temps, plus que temps !

Ce soir là ,il est 21 heures 45 minutes, les secondes s’égrènent, la situation devient critique, les positions quasi intenables, le tympan à s’enfuir de l’oreille. Des manifestations diverses : cris d’animaux, insultes en arabes, en slaves et bientôt en chinois ,chants religieux monothéistes puis polythéistes ,imprécations en bachi-bouzouk, honteux bruitages électroniques au téléphone mobile...où plus prosaïquement quelques injures autochtones que vous connaissez tous... émergent de plus en plus nombreuses, avec une fréquence de plus en plus rapide de la foule mouvante et toujours plus agressive !
22 heures ,soudain un grésillement de talkie-walkie , c’est le signal ! Dans la fosse les tribus se toisent prêtes au sacrifice, les pouces en l’air ou vers le bas selon leur degré d’optimisme.

Les lumières s’éteignent, le maillot Motorhead clignote et disparaît dans le noir. Prise par l’effet papillon... la clameur monte comme un raz de marée, un coup de grisou extraordinaire ; devant c’est la cohue, cinquante ,cent, mille , des myriades d’individus m’écrasent dans l’allégresse les pieds, heureusement docmartenisés 18 trous . Je distingue leurs visages grimaçants agités de rictus étranges et inquiétants, certains, ,l’oeil torve bavent déjà...

la musique d’intro ,faites de borborygmes indigènes , couvre à peine le ronflement des amplis ; les hostilités s’annoncent sous les meilleurs auspices et sous le coup d’une bouffée d’émotion jubilatoire, je me frotte les mains , pour l’instant encore uniquement chargées d’électricité statique .
Prudent sur ma gauche un trentenaire malthusien ajuste des boules quiès généreusement offertes à l’entrée avec les préservatifs assortis par d’ accortes jeunes filles en uniformes à jupettes oranges circulant en patins à roulettes ...Sur leur casquette le logo d’un marchand de clopes américaines , sur les murs des panneaux « interdit de fumer » ; contradiction que seuls les actionnaires des fonds de pensions « made in Floride » peuvent comprendre !

22 heures 5 minutes ,coté cour, dans des fumigènes plus poisseuses que le fog londonien, ,quatre ombres aux allures de chevaliers teutoniques parés pour le « drag nacht osten »... dont deux femelles et un moustachu, , sont catapultés pour une croisade sonique face à la foule flottante et affamée d’électricité humide ..les « Bloody de Biloxi » rentrent en scène ! ouwahouou ..

22 heures 5minutes 30 secondes , martèlements de tambours ...la basse dans un vrombissement de Concorde en plein crash décolle et par vice tente de devancer la batterie qui ne se laisse pas prendre à ce piége puéril mais assez couru chez les sections rythmiques ...Le tempo reste implacablement stable .
Un souvenir touchant et encore douloureux me traverse l’esprit :
dans ma prime enfance j’en avait un , de Concorde, un très beau modèle réduit avec le bec de rapace amovible et en plastique qui faisait ma fierté ; un jour de conflit ouvert avec ma mère il finit fondu et carbonisé dans le poêle familial .
Mais revenons à notre concert !!!
Autour de moi les corps exultent, tel un sportif du dimanche, je m’échauffe en dodelinant de la tête, campé sur mes deux pieds ,m’assurant égoïstement et coûte que coûte un espace vital suffisant pour mon polygone de sustentation .

22 heures 6 minutes, la guitare démarre saturée à la pédale « Big muff » .Une danse de Saint Guy ,digne de ses ancêtres emplumés et enflammés ,se déchaîne . les premiers rangs sont enfoncés, plis sous l’assaut, font corps et repartent à l’attaque... mon espace se réduit... je suis bousculé, pressé, compressé, palpé, boite de sardiné...
Le souffle court, apnéique... je saute en l’air, saisissant enfin la pertinence du pogo pour la respiration ,ma tête ,pauvre flotteur dans, l’écume humaine, apparaît sur l’accord de la et disparaît sur celui de si, coule sur le mi et flotte sur le sol.

Déjà se manifestent les premiers dommages collatéraux .Les plus petits , les moins résistants, les pusillanimes et bien sur les femmes enceintes ..., sélection naturelle oblige... s’agrippent et s’immiscent comme ils peuvent vers les périphéries pour se replier pantelants vers les secondes lignes ... Sur la gauche se forme un cercle, semblable à l’oeil du cyclone katrina, où quelques individus déterminés lancent leurs membres en l’air et se jettent les uns sur les autres dans un élan jubilatoire de serial killeurs ,pas encore décérébrés, ayant repérés leurs victimes plus ou moins consentantes , pas tout à fait innocentes...

22 heures 9 minutes, stimulé par l’euphorie ambiante.. en authentique pois sauteur du Mexique et lancé comme une balle au bout d’un élastique... je saute toujours plus haut ,vire à droite ,vire à gauche ... évitant les collisions ,en véritable virtuose ivre du pogo dancing, à en faire s’entrechoquer de jalousie les os pourris de cet abruti de Sid le Vicieux au froid dans son linceul .

En équilibre sur un pied ,je vacille, je virevolte, cloquedille ...surtout ne pas chuter pour éviter le piétinement et l’étouffement létal (concert des Who , 1979) ; hélas, je trébuche, marche sur mes lacets (j’ai jamais su faire les lacets) et m’accroche dans un dernier geste de survie et de « chacun pour soi », à un corps au fort relief et dégoulinant de sueur, je m’y accole, m'y colle...du torse , en ventouse de la bouche ,en piston du derrière... Je n’vois plus rien, je tâtonne, je palpe un bras, une cuisse, un ventre ,un sein puis deux...il s’agit bien d’un corps féminin( un aveugle ou un enfant en viendraient aux mêmes conclusions) ou alors, ce serait plus singulier et plutôt inattendu en ces lieux de poutrelles métalliques assez peu boisés , un authentique travesti brésilien .
22 heures 15 minutes. Je lâche d’un réflexe pudique son thorax pourtant confortable dont je sens les bouts en légère érection. L’ai-je ému ? Est-ce la transe musicale ? Pas le temps de réfléchir ! Déjà les remous du jacuzzi tribal nous séparent ! Un peu hébété, le sourire énigmatique , et désormais indifférent à mon sort, l’individu , que je qualifierai d’ androgyne fautes d’investigations plus précises, reprend en quelques secondes ses gesticulations shamaniques .

De 22h15 à 22h35, les titres , tous assez semblables ...s’enchaînent. Personne ne s’ennuie non, non, non...mais ça s’enchaîne ! J’en profite aussitôt pour griller une sublime et vénéneuse cigarette ; l’herbe à Nicot me plonge alors dans une humeur contemplative et me remplit de cette suffisance qu’arborent les timides à qui la clope donne une contenance tout à fait factice mais tellement nécessaire . Au diable la surveillance des vigiles ,la tête qui se dévisse , le cerveau parasité par leurs oreillettes et complètement perdus dans d’ épaisses volutes ! (Je rappelle pour les distraits qu’il est interdit de fumer !)

A 22 heures ,35 minutes et 6 secondes ,d’un coup, le rythme s’accélère ! Ou n’est-ce qu’une impression ? Quand les « Bloody de Biloxi » attaquent leur tube poético érotique « vice et versa », monte un râle de satisfaction . La pulsion technoïde de la grosse caisse déclenche une transe sauvage, épileptique...des choristes semi professionnels au chômage , pas encore découragés par les hypocrites mesures ministérielles, se dévoilent dans la fosse et agitent leurs banderoles : « des sous pour les intermittents » .Un comique adepte de Didier Wampas ou un provocateur ( on ne le saura jamais !) a barré sur l’une d’entre-elles le dernier terme pour le remplacer par « fainéants ». Pourtant , parfaitement volontaires, tous se mettent gracieusement à hurler à tue-tête sans peur de se déboîter les amygdales ...

Je voudrais te toucher le ventre,
là où la chair est plus tendre !
Y allumer des incendies
et appeler les canadairs !

Me courber devant toi ma chère
abysse à l’origine du monde !
La ligne de fuite de tes cuisses
Se perd dans les plis d’une faille !

A 22 heures 38 minutes, quant le refrain explose, la guitariste, rarement à court d’idées , on le verra par la suite! vide sa canette sur le crâne glabre du vocaliste moustachu qui bon prince se laisse faire... l’abnégation ferme et définitive, toute pudeur au sacrifice , le spectacle avant tout ... Rock § rolllllll ...avant de mimer...


Hum, droit au but, le bâton du sourcier, vibre tant et plus !

.. une explicite fellation sur une pauvre canette à demi vide qui , n’en demandant pas tant , dans l' allégresse se met à mousser. La houle sexuée frôle l’apoplexie !

et sans détour
au final je défaille dans un gant de velours
C’est vice et versa !

22 heures 40, nous formons désormais les vagues d’un roulis titanesque ,une marée irrésistible , fantasmagorique ...tous les sens en éveil , je crie dans les stroboscopes, me découpe en tranches , en mille éclats brisés et scintillants ... me noie par séquences saccadées, en noir et blanc et au ralenti dans une brume opportune ... comme Dead Deep man dans sa pirogue indienne en eau profonde ... C’est beau !

Si tu me donnes la mer à boire
pour des plaisirs indicibles
la bouche penchée vers le calice
se noie droit au coeur de la cible !
Je voudrais te toucher le ventre...

Sur la scène ,infatigable, la frénétique fellatrice secoue sa chevelure, arque boutée sur sa Gibson SG, en légitime fanatique d’un groupe australien sous haute tension qui connu son apogée dans les boums lycéennes des années 70 ...elle s’approche du bord, harangue la foule tel un bateleur de foire montreur de curiosités exotiques avant d’arracher d’un coup sec et inattendu son pantalon en vinyle rouge pour se retrouver en culotte verte , fesses rebondies, face à la meute esbaudie ... Culotte de mauvais goût mais bien plus émouvante et sensuelle pour les hétéros, il faut l’avouer, qu’un short masculin mi-long de panoplie collégienne porté par un quinquagénaire aux jambes maigres et poilues.

Son effeuillage terminé , un pied sur le retour et la cellulite vengeresse ... elle se lance dans un solo à nous vriller la tête, nous fêler les tympans de pédale wha wha ,volubile, crachouillante ...twang.@twang ... c’en est presque écoeurant...

Simultanément ,l’agitation franchit un cran sur l’échelle de Richter ;dans les premières lignes en pleine montée d’hormones, certains , prenant sans doutes les paroles au premier degré, tentent de toucher la jeune odalisque qui s’esquive et se replie prestement, telle une torero naturiste ,vers le batteur Duracel toujours imperturbable ! Au centre, des excités à peine rassasiés par le « regardez mais pas touchez ! » réussissent malgré tout à rejoindre la scène ...en quelques secondes saluent la foule , miment une quelconque position du karma soutra ( pas toujours identifiable) avant de se jeter dans la position du christ crucifié vers les bras tendus de leurs acolytes qui les accueillent dans les cris d’extases et de douleurs dignes de Sainte Blandine et des premiers martyrs.

Au comble de la transpiration des corps torses nus aux muscles roulant sous la peau qui se cherchent querelle , l’espace se transforme en sauna, en backroom sauvage ,en sabbat blasphématoire à la Jérôme Bosch ...Sueur ,urine, liquide séminal et pluies acides...font du sol un indéfinissable cloaque.

Jamais sevrés, quelques audacieux toujours avides de palpations gratuites, nagent sur la masse, portés à bout de bras, pour s’écraser inlassablement et au mépris du danger, tête en avant sur les retours de scène ..., par miracle se redressent, grimacent et singent la goule en slip ; elle même agitée de mimiques évocatrices et qui tente, sans réelles convictions, de dissimuler son anatomie féminine inférieure derrière le bois de son instrument standard mais définitivement trop petit. Ces téméraires postulants guitaristes à en faire baver n’importe quel membre du jury d’air guitar , se convulsent alors sans retenus avant d’être éjectés derechef par la sécurité , totalement blasée mais tout à fait professionnelle et qui en à vue bien d’autres depuis la tragique affaire d’ Altamont en 1969.

22 heures 50, le break qui suit le solo calme pour un court sursis, les libidos exacerbées ; c’est le moment de reprendre son souffle, bouche difforme, ouverte en grand , poumons meurtris et râlants qui n’en peuvent plus d’agonir leur bile nicotinée ...

Coté jardin, la bassiste en soutien gorge minimaliste , l’oeil lubrique et mâchant son chewing gum d’un air salace de bunny pour parade country à Saint Pol Sur Mer , essuie son manche ruisselant tout en continuant de faire rouler ,sans équivoque, ses hanches dans un 501 élimé et troué à la Dee Dee Ramones . L’harpie libidineuse ,ne souriant que pour moi...j'en ai la fièvre ...suit le rythme lourdement binaire du batteur, une grande bringue longiligne au cheveux longs et délavés, dont tout le monde se fout ! (C’est la cruelle destinée des batteurs). Calée dans les starting blocks...elle s’apprête pour le coup de boutoir final.

Quand la basse et la guitare redémarrent à l’unisson sur le dernier refrain :

dans le chat de l’aiguille
humide et intrépide,le fil toujours vacille !
et sans détour
au final je défaille dans un gant de velours
C’est vice et versa / sévices et versa...

Tout passe définitivement dans le rouge...c’est l’hallali , la curée ,la blitzkrieg , le pure massacre ethnique, le frotti-frotta orgasmique, les bacchanales du stupre , le broyage final et total ! C'est Ferdinand , en colère et en plein tripotage , caché sous une table pendant le bombardement de Montmartre en juin 44.
J’en perds mon bras droit...où est-il ? Par contre je sens bien ma pauvre jambe gauche prise comme dans un vilebrequin, les os craquent ,le pied se dévisse, le pantalon se déchire ,mon membre s’arrache, la douleur est atroce... pas de pitié ! Je joue des coudes ,des poings, des reins et du front pour me dégager de l’étreinte mortelle ... tant pis pour mon voisin et ses lunettes au design Flehstones qui se trouvent provisoirement transformées en objets volants à peine identifiés.

22 heures 53 minutes et 15 secondes, le riff de guitare qui annonce la fin du morceau monte, monte , démonte ... en spirale monstrueuse et atomique... Bon dieu quel spectacle !

Le tympan en pleine crise de priapisme ,soudain sur ma droite ( erreur fatale de débutant , je regardait à gauche !) arrive imparable une chaussure enveloppant un pied ,suivi d’une jambe rattachée à un tronc qui me cogne en pleine tête, braoum, crack...tragique coup de Jarnac !
Dans le coït interrompu ... un flash long et douloureux me transperce ... le son s’éloigne progressivement comme filtré par une masse ouateuse , je défaille, glisse , fond en flaque vers le noir pigmenté de taches oranges...nausées psychédéliques , rideau, black-out... dans un nuage d’éther je tente la brasse coulée rien n’y fait je suis englouti , submergé ... pfolf et flaouf... La libido en berne , le tympan réfractaire et flasque...à bientôt, à jamais ,je m’repose, ici repose !

A une heure indéterminée, je ne peux pas être plus précis, (j’ai cassé ma montre qui est définitivement bloquée à 22 heures et 54 minutes et quelques secondes )... allongé , je le suppose, sur un lit de camp, j’ouvre les yeux sur le visage effrayant d’une femme entre deux ages et un peu boulotte. Je reconnais heureusement assez vite sa fonction grâce à son logo hérité d’Henri Dunant , son costume gris et son gilet orange ; il faut le dire, l’ensemble est peu seyant !

Tout en essuyant d’un geste maternel mon front brûlant d’une éponge dégoulinante , ses lèvres esquissent une moue réprobatrice et désabusée teintée d’interrogations , en sortent des sons gutturaux et postillonneurs... Tchic tchac,tchic tchi ki boom, Vlang, brang, vromb,broum,brrroumme ...qui arrivent péniblement jusqu’à mes oreilles et que je mets quelques instants ou peut-être des minutes à interpréter... Il faut dire qu’un train semble traverser mon crâne, je l’entends dérailler entre la mitraille des kalachnikovs ,les imprécations d’un Ben Laden local et les bombardements sporadiques sur Srebrenica ... Je croie comprendre « mais qu’est-ce que vous foutiez dans l’pogo ? »
Puis tout redeviens calme, rassurant , caressant ... dans mon champ de vision un ange en string passe ,tout à fait souriant ,une guitare acoustique en bandoulière, en chantant « Pleasant street » de Tim Buckley . Derrière lui la créature androgyne sur son nuage ouaté me fait un clin d’oeil complice en passant la langue sur ses lèvres appétissantes et sans aucuns doutes siliconées . Je suis applaudi par le groupe enthousiaste et au complet : la Bunny country libidineuse, la frénétique fellatrice en culotte verte, le chanteur chauve ruisselant et le batteur longiligne à la tignasse filasse , pas du tout rancunier . Même le rodie Motorhead du haut de la cabine de son camion customisé... « Overkill tour 1979 », ( une obsession qui sert ,espérons le , à Lemmy pour cumuler les points retraite), me gratifie d’un petit signe (le majeur en l’air !) que j’interprète résolument serein comme tout à fait amical.

Le tympan en pâmoison et désormais au repos, Je goûte aux saveurs extatiques ... une chaussure et jambe de pantalon en moins , un pansement sur le crâne en plus...

Sans répondre à la question , que je juge sur le moment peu cruciale ,de la secouriste entre deux ages, au visage gris, un peu boulotte , stagiaire et sûrement bénévole... j’ânonne un timide merci et claudique en m’appuyant sur les murs encore mouvants vers l’extérieur .

Une fois dehors, passés les quelques secondes d’éblouissement causées par la lumière franche et crue prête à calciner le premier vampire belugosien venu ...j’ouvre les yeux sur un spectacle de félicité ...la foule fascinée s ‘écarte devant moi, tous me sourient, me congratulent, veulent toucher mes blessures ( espérant sans doutes un miracle !) ... les plus audacieux baisent ma jambe nue ,d’autres me tendent des béquilles bariolées ... des jeunes filles en tuniques antiques et à peine pubères, dans leurs cheveux des couronnes de lauriers, jettent des nuées de pétales de roses sous mes pas ...Un groupe de vestales gothiques et délurées m’offrent le maillot de corps à l’effigie des « Bloody de Biloxi », une paires de docs d’occasion mais à la bonne pointure ainsi que le disque vynil collector qu’elles ont choisies rose ...rose ...rose...tout est rose...Je me sens un héros ,un demi-dieu avec son talon d’Achille ... un éclopé flamboyant, un perdant magnifique, un chef d’oeuvre du rock & roll .. .le pote de Jeffrey Lee Pierce... l’égal de Patrick Eudeline. . . Daniel Darc jouant au deuxième étage de la tour Effeil..... d’où je tombe...

Le cliquetis d’un lit métallique et la sirène stridente d’une ambulance me sortent de mon évanouissement comateux . Il est une heure du matin à l’horloge disgracieuse mais fonctionnelle qui est devant mes yeux. Deux brancardiers africains ,clopes au bec, se marrent franchement en contemplant mon pied boursouflé ma jambe scarifiée et ma pauvre tête enturbannée, salle de répétition pour acouphènes , tout en slalomant dans un long couloir que je trouve bien trop austère pour être un ersatz de paradis .
Une heure 5 minutes, coup de frein brusque... une infirmière pressée, c’est un euphémisme, du service des urgences consulte ma fiche d’un regard blasé et lance sans me regarder :
-Foutez-le avec le New-yorkais alcoolique de la six !
10 secondes plus tard, nouvelle cavalcade hilare dans un dédale de couloirs et d’ascenseurs...j’suis fatigué, je vous passe les détails...

La porte de la six s’ouvre, dans le lit en position parallèle au mien ronfle un individu de sexe masculin d’un age avancé et portant tous les stigmates d’une vie tortueuse et difficile.... Peut-être un SDF ? Ses ronflements odorants, irréguliers et saccadés rejoignent la fanfare qui désormais a investi ce qui me fait office de boite crânienne ...je me penche vers lui, non c’est pas possible ,je le reconnais ! nouveau malaise ... vlaaannnggg... c’est comme un nouveau coup de tonnerre ...le syndrome du Viet Vet ... au secours... J’appuie sur une sonnette ... vite de l’air ... Je suffoque dans un cauchemar cosmique où Martin Rev détruit à coups de marteau son orgue Farfisa au milieu des poubelles, des bouches d’égouts fumantes et des gyrophares, sur le trottoir du CBGB au 315 Bowery Street ...appelez les infirmiers !

A coté de moi cuve le père fondateur de l’électro punkabilly et de la techno suicide... cet Elvis karatéka courbaturé d’après la Bombe ...Alan Vega la perruque de travers , des traces verdâtres de vomissures sur son tricot de peau « Motorhead fuck the Vietnam » .

Mais putain ! Qu’est ce que je foutais dans le pogo ?

Luc DMK octobre 2005

Bande son possible :

Les Thugs"frenetic dancing", Jeffrey lee pierce"wildweed", The Gun Club"walking with the beast", Suicide" why be blue", Luc DMK"vices et versa", The Kills" no won" ,The Eigthies Matchbox b-Line Desaster"Psychosis Safari", The Dum Dum Boys" reverberation"
Tim Buckley"pleasant street",Patrick Eudeline"boxeur sonné" ",Daniel Darc"Nijinski" ,Maarten"pictures of va danish girl"...

Le beffroi de l'effroi!

« Il comprit qu'il ne fallait compter sur aucune clémence du sort, sur aucune justice de la destinée. »
Huysmans, Joris Karl « A vau-l’eau »

Les apparences sont parfois trompeuses ... en effet vous n’avez vu que la partie émergée de l’iceberg , mes relations fusionnelles avec les déflagrations électriques, ne se limitent pas à agonir dans la fosse d’une salle de concert , flottant et suffoquant dans un liquide nauséabond et secouru in extremis par une association caritative avant de rencontrer d’improbables fantômes ... Bien d’autres expériences s’offrent à moi avec leurs à-côtés, leurs délectables compensations...que je m’efforce de ne pas rater... hum , badin , je les cueille à la volée !

Passé du punk à la chanson française par un cheminement sans fausses pistes excessives ,sans apories rédhibitoires ... je brûle tout comme les « Bloody de Biloxi » et tant d’autres, les planches tout feu tout flamme ,les sens incandescents , virevoltant sur des charbons ardents pour une des dernières aventure du monde civilisé ...La guitare à bout de bras , un rictus à la bouche et les genoux toujours un peu flageolants, je délivre mon répertoire sensible et sans esbroufe toujours à la recherche de l’osmose parfaite entre flamme poétique et folk rock décalé en puissant dans boite de Pandore ou plutôt le capharnaüm de mes influences . Funambule à la recherche d’un équilibre précaire , je fixe l’ horizon d’une hypothétique reconnaissance qui ne semble portant pas si loin mais qui reste toujours immanquablement insaisissable...

Modeste de nature ,je n’ai jamais oublié mes débuts : le tirage au sort des instruments entre copains ,entraînés plus ou moins malgré eux dans l’aventure ,les premières répétitions à trois sur le même ampli et la découverte du Graal sous l’apparence de l’accord barré... trois enchaînés et c’est gagné ...les concerts dans les surprises parties , les maquettes en prise directe dans les studios d’une radio régionale...les premières réactions souvent contradictoires , oscillant entre le rejet total « rentrez chez vous ! », « c’est pas de la musique ! » et la franche adhésion « plus vite !plus vite.. » « bon look les gars » ... en quelque sorte des Asphalt jungle provinciaux de « La Vallée des Roses »!
J’vous raconterai tout cela en détails peut être un jour !
En attendant Il faut dire que la maîtrise encore aléatoire de mon instrument, mon arythmie chronique et mes capacités vocales, hum originales , s’ entêtent à me rappeler ces innocents premiers pas .

Ainsi humblement , depuis plus de deux décennies (deux fois et demi le voyage d’Ulysse pour retrouver la patiente et soit disant vertueuse Pénélope !) je m’échine à écrire des chansons ,triturant les accords à la recherche de l’insaisissable « note bleue » ... lisant de la gracile poésie du seizième siècle sous la forme de madrigaux et d’ odes de Eustorg de Beaulieu et de Louise Labé ... alignant les mots en esthète, à l’affût d’ oxymores ,d’ hyperboles inédites , de métaphores et d’allégories signifiantes ... comme le soulignent les quelques articles passés dans la presse régionale et quelques fanzines attendris , voire parfois ..ô miracle ...les journaux spécialisés eux mêmes touchés par la grâce d’une « chanson rock classieuse mais sans frime » avec « de vrais morceaux de poésie à l’intérieur. Le sens du refrain tueur en bandoulière et la mélodie au revers du blouson » n’hésitant pas à employer les comparaisons et les références les plus audacieuses ; mon précieux et fragile savoir faire « Entre chansons réalistes et ambiances surréalistes.. » et « de rafraîchir les mots à ma sauce ,de les laisser mijoter lentement pour en extraire une substantifique moelle encore méconnu jusque là ». ; ainsi sans ambages je les « emmène en voyage » pour « Un plaisir doux et chaud comme toutes ces couleurs étalées » ou « le résultat ne manque ni d’originalité ni d’élégance »,le tout « dans des ambiances grisâtres non dépourvues de charmes »...
La lecture de ces saillies laudatrices ,colorées et parfois contradictoires ,flatte et nourrit mon ego discret , car il faut bien le reconnaître , mes chansons peaufiner avec amour voire maniaquerie intéressent assez peu les auditeurs potentiels que je cherche encore et toujours tel un spéléologue et sa lampe frontale menacé d’hypothermie, perdu dans la cale d’un bateau fantôme d’Allemagne de l’Est post perestroïka ou alors dans un gouffre noire de Papouasie où les chauves souris moqueuses et si peu mélomanes, font « hin,hin,hin... »

mais je m’acharne, m’accroche aux branches, des arbres ,des buissons mêmes les plus frêles ... c’est pathologique !

Parfois, une pincée de mégalomanie hallucinatoire m’agite, mon nom clignote alors en lettres indélébiles ( visibles au moins jusqu’à Ulan Bator !) dans la voie lactée des vanités , sous la radieuse voûte céleste où je tutoie les étoiles d’un monde irréel me promettant la félicité et la paix éternelle ... n’y occupant qu’une place minime ,là , entre celles de Dominique A et de Gérard Manset ... n’y laissant qu’une trace encore plus ténue que celle de sylvain Vanot et de Mendelson ...

La réalité ,soyons objectif ,penche très peu pour cette hypothèse ,le temps qui passe ( marque de l’éternelle impuissance de l’homme!), laisse plutôt présager du contraire, c’est à dire l’anonymat le plus complet, pour ne me réserver ,hélas, que des longues et pénibles heures à ramer à contre courant vers une destination de plus en plus incertaine ...tel Don Quichotte, la gloire de la chevalerie espagnole ,se battant dans sa quête mystique contre quarante moulins pour trouver une illusoire bonne fortune.

Après des centaines de prestations dans des lieux des plus hétérocycliques et parfois incongrus ...et quelques disques ,tous autoproduits, écoulés au compte gouttes à quelques centaines d’exemplaires et sacrifiés à jamais sur l’autel du « collector » inconnu ...je reste définitivement un amateur ,un éternel débutant. Même pas un « has been » ,non, rien qu’un éternel « never been » « pas prêt de sortir de son sous sol ! » comme l’ a écrit...il avait tord ... un gratte papier, sans doutes jaloux et peu clairvoyant, des années 80 disparu (bien fait pour lui!) depuis dans le trou noir des pigistes oubliés .
De fait ,d’un optimisme désarmant ,je suis ... je l’avoue ! on me l’a dit ! répété à satiété ... naïf comme la lame émoussée d’un canif ; rien qu’un môme encore capable de s’extasier devant un tableau du douanier Rousseau ,ses singes lanceurs d’oranges et ses tigres mangeurs d’indigènes au milieu de plantes exotiques luxuriantes et carnivores .

Rarement plébiscité par les nébuleux réseaux de diffusion des musiques actuelles, frappés comme partout ailleurs par les règles inévitables du népotisme ,du copinage intéressé ,des effets de mode ,de l’incompétence et du n’importe quoi ...
Pour tout dire , un singulier vase clos de règlements de compte les plus bas et d’ indifférences les plus humiliantes ...mais chut !!! Silence absolu ! je n’ai nuls détails à vous divulguer, aucuns noms à jeter en pâture... ne gâchons pas mes dernières chances ; je suis déjà assez ignoré !

De fait, chaque concert est à décrocher de haute lutte à la sueur de mon front ; directement en concurrence chez les bistrotiers avec les groupes de reprises ,de ska festif, de chansons comiques franchouillardes et néo-tziganes ,de Djs et de karaokés poujadistes géants ,de joueurs de guitare picking , d’ avaleurs de sabres ,d’ adeptes de Joseph Pujol le célèbre pétomane Marseillais du XIX ème siècle sans parler des groupes de post rock redécouvrant les affres de la musique progressive ... la tache est ardue !

Mes chansons à l’humour discret, parfois ironiques et modestement rythmées laissent , presque toujours ,dubitatifs ceux qui mesurent la qualité d’un groupe à l’aune du débit de la pompe à bière et du cliquetis du tiroir caisse ; en quelque sorte victime du darwinisme économique ,le refus est souvent rapide est sans appel : pas l’profil de la clientèle ...d’aucune rentabilité pour le marché bistrotier ...musique tout à fait rédhibitoire ...et ultime crime et de lèse-majesté , à ne faire boire que de la tisane aux habitués éplorés qui dégoûtés passe à la concurrence.

Si par un heureux concours de circonstances astrales convergentes chères à Françoise Hardy ,une date est décrochée , rien n’est encore gagné ,il faut alors se charger soit même de la promotion à l’aide de rudimentaires affiches et tracts photocopiés à poser et à distribuer de ses propres petites mains dans les lieux stratégiques ,de bonnes chaussures aux pieds, le rouleau de scotch dans la poche ,la nécessaire bonne humeur en bandoulière, défiant les refus et les indifférents , encourageant les hésitants et flattant les hypocrites ... Le concert tout en kit en quelque sorte ! L’ABC du « do it yourself »!

De même, après la prestation et ses aléas ordinaires, .encaisser son cachet reste définitivement un exercice de haute voltige souvent périlleux et bien souvent désagréable . Il faut en effet voir le visage sérieux et contracté , le ton grave et cérémonieux ,les courbettes et les salamaleques du marchand de bière vous faisant ,tout à fait dépité ,l’aumône d’un peu de monnaie quand la soirée n’a que très partiellement répondu aux critères de rentabilité du libéralisme triomphant. Le tout à sa modeste échelle de débitant de boissons ,c’est à dire quelques paquets de clopes et d’amuse gueule ,cinq caisses ,trois tonneaux , quelques bouteilles d’alcool fort et une douzaine de croque-monsieur ...

Déjà passablement épuisé par la prestation et le rangement du matériel effectué en slalomant parmi les clients avinés et souvent assez peu coopératifs, Il s’agit de faire le dos rond ,d’ écouter la larme à l’oeil , les arguments les plus opaques, les logorrhées les plus fumeuses ...chargés de me faire comprendre que cette maigre obole lui arrache le coeur,le pousse à la ruine,au dépôt de bilan... à l’immolation par le feu voire au suicide devant les bureaux du syndicat des maisons de société et des débitants de boissons de France et de ses ex colonies .
Je deviens alors le complice bien involontaire d’éléments qui échappent complètement à mon contrôle et qu’il me faut cependant commenter ; pour preuves : réfléchissez avec moi sur les capricieuses fluctuations de la météo , la concurrence déloyale ,les fins de mois difficiles,les allocations chômage versées trop tardivement ,les vacances et les jours fériés, la mort du pape et le football ,le plan vigi-pirate ,les taux d’alcoolémie beaucoup trop bas ,les jeunes et la techno ,le réchauffement de la planète ,la concurrence asiatique et la crise des banlieues ... cet ensemble fluctuant et non exhaustif reste à ma décharge ,car avouez le, je n’y peux pas grand chose , mais on ne peut rien contre l’ignorance et la mauvaise foi...
Pourtant la tirade ininterrompu me culpabilise ,le cas de conscience me taraude : c’est vrai que le groupe d’ados de la semaine dernière massacrant gentiment quelques tubes grunges à drainer le banc et l’arrière banc de contingents en pleine floraison acnéique ...sans parler du groupe de blues , presque semi professionnel, faisant taper dans ses mains le public au moins quadragénaire, autour d’une pizza « John Lee Hooker » , enfin conforté et enthousiaste d’entendre pour la millième fois « « On the road again »....

Mais pour l’instant, au comptoir la litanie bistrotière n’en finit plus, sonné , je ne sais que dire... comment m’en tirer sans dommages collatéraux excessifs ,c’est à dire sans l’offenser ni m’humilier totalement en lui rendant son enveloppe frappée anorexie ...dans un éclair de lucidité, me souvenant de la passion pour la Citizen Band du débitant , je décide d’adopter son sibyllin dialecte pour faire passer le message :

« Attention CQ dans la sucette ! 73 et 51 à tous les SWL ,imbibons nous de gastro liquide ,montons dans les push pull, a fond sur le grand ruban et tant pis pour les boites à images et les QRM 22 ...crashons nous sur le premier aquarium de punks à moustache ...ou le premier mille pattes Teuton aux chauffeurs sous payés... Rodger ? mes plus mauvais chiffres, bande d’enfoirés,ramollis du bulbe ...

finir par d’autres insultes bien senties ,bien grasses et un poil raciste « ta soeur suce des ... » le tout modulé sur le 27 pour animer les débiles mais tellement vraies conversations de ce klu klux klan hertzien de spectres motorisés qui hantent désoeuvrés nos espaces périphériques et nos campagnes rurbanisées ...

Pour les cibistes néophytes et les curieux non pratiquants ! voici une traduction la plus fidèle possible :

« Attention appel général dans le micro ! salutations et cordiales poignées de main à toutes les personnes à l’écoute de la fréquence.. Imbibons nous de boisson , montons dans les voitures, à fond sur l’autoroute et tant pis pour les radars et les gendarmes ...écrasons nous sur le premier bus de touristes Belges ou le premier camion de Willy Betz ... Compris ? allez vous faire voir ailleurs ... ». Je sais ,c’est banal, d’une désespérante vacuité ... d’ailleurs je pense qu’il a compris...

Bien au contraire, si le café est plein comme un oeuf de potes et de curieux hilares ,rameutés par le hasard ou le subtile et toujours mystérieux bouche à oreille, tous bons buveurs alignant sans scrupules les fafiots sur zinc , c’est alors un déluge de compliments, de verres à trinquer en frère de sang, de confessions des plus émouvantes à en faire pleurer l’abbé Pierre et Garaudy réunis ... qui à l’unisson se mettent è chanter :

Adossé au comptoir de chêne patiné
par des coudes alanguis de peu de volonté,
serments jurés, crachés ,jetés à la volée,
je croyais en l’ ivresse divine du vin de messe.

mais pas le moindre billet ,ni la plus petite piécette , même en anciens francs...à rajouter dans la maigre enveloppe .

Soyons claire ,il s’agit de s’entendre ... pas d’équivoque inutile, de confusions ,de fâcheuses extrapolations ... je ne joue pas pour l’argent. Ce que je gagne ? l’amicale des banquiers, réunis dans un quelconque Novotel d’une zone industrielle et logistique triste à mourir , en rie encore ! Toutes mes velléités d’enrichissement sont aux oubliettes ; rien que la muse à violenter pour l’eau fraîche et l’amour de l’art ! C’est dire !

Si les moindres occasions de jouer font le larron., quelques prestations se transforment sans crier gare en victoire à la Pyrrhus , en abîmes de volupté pour kamikazes amateurs de chrysanthèmes flottants ...en pure chaos.

Nous y voilà ...inscrit à un tremplin amateur et sélectionné parmi des dizaines de postulants ,en principe de tous styles ,pour franchir alerte les marches savonneuses d’une improbable et vaniteuse reconnaissance ! Plutôt flatté et tirant déjà des plans sur la comète ... je me vois sur la plus haute marche du podium en gros plan dans la presse locale, le trophée à la main (une banale assiette à l’effigie de la ville !)offert par les édiles endimanchés et embrassé par une miss Nord pas de Calais et ses deux jolies dauphines subjuguées et lascives ,tout à fait consentantes et bientôt offertes ...

Le jour venu ,l’arrivée sur les lieux de la prestation ...une authentique grande place du Nord , ses pavés glissants et son placide beffroi toujours disponible aux divertissements populaires ( Il faut avoir entendu son chant puissant et grave de gros bourdon plusieurs fois centenaire les jours de ducasse ou d’exécution capitale!)... perturbe aussitôt les humeurs optimistes et calme nos ardeurs : pas d’organisateurs visibles à la ronde , pas de place de déchargement prévue ...mais des vigiles ...hum,disons ,rustiques et peu communicatifs. Après trois circonvolutions placières, enfin une âme charitable nous indique la remorque pour poser le matériel derrière la scène et la cachette de l’organisatrice bénévole ...qui nous attendais plus tôt ??? aussitôt elle nous balance nos tickets boissons avant de disparaître sans plus se soucier de nous (du moins pour le moment !) vers d’autres occupations festivalières de premières importances !

L’arrivée dans la remorque, devenue un immense caisse de résonance ,le ventre béant d’une grotte troglodyte... nous donne déjà une idée précise du purgatoire. Dans le brouhaha ,les groupes en concurrence se croisent, le temps à tuer et la convivialité réduite au silence ... Les planches gémissent à fendre l’âme ,les clous se tordent et se barrent sous les accords d’un groupe néo-métal qui tente de séduire les éventuels membres du jury devant un public clairsemé de jeunes collégiens tout à fait contents et gentiment enthousiastes...

Il faut dire qu’il n’est que 3 heures de l’après midi !
Dans l’impossible de communiquer ni d’accordez les instruments ainsi que pour préserver nos tympans déjà bien déficients , nous refluons vers le fond de la place rejoindre les familles faisant leur lèche-vitrine de fin de semaine .
Sans temps mort et à la queue le le les postulants à la réussite s’installent et s’agitent, tous pareils , jamais tout à fait les mêmes ... le mince public qui fluctue sans raisons apparentes n’est constitué, après observation, que des supporters des uns remplaçant ceux des autres, accompagnés par les migrations pendulaires des familles ayant terminée leur pause de contribuables locaux ou au contraire de celles qui s’approchent (avec prudence !) pour légitimement jouir de l’animation municipale gratuite.

De retour dans la remorque l’ anxiété monte ... l’ heure de notre passage se profile dans un compte à rebours fatidique juste après celui d’autres clones des Red Hot chili Pepers qui pour le moment attendent leur tour en devisant coucher tous ensemble sur une mince litière de paille synthétique ,tout en tripotant allégrement les mamelons juvéniles de plusieurs nubiles et apprenties groupies déguisée en Courtney Love de Prisunic ou en fiancée blafarde de Marilyn Manson.
Les jeunes insouciants ravis de l’aubaine ... légers en paroles, bavards ,moqueurs et prompts à la bandaison semblent bien entraînés aux combats au corps à corps ! nous si peu , du moins je le croyais !

Quarante minutes plus tard ,le dernier riff de nos prédécesseurs sautillants agonisant dans un ultime larsen sous les regards humides de leurs novices vestales ... plein d’entrain et dans beau mouvement d’ensemble , nous nous précipitons sur la scène ,le matériel en vrac à installer dans un temps record ..toujours pas homologué aux livre du même nom !
En moins de dix minutes chrono ,les taches se succèdent et s’entrecroisent : Jacks capricieux à démêler, placement de micros ...accordage de guitares... branchements aléatoires ..balance, balancée vite fait .. alea jacta est !

.30 secondes,20, 10...3,2,1, c’est parti ! j’attaque billes en tête, gonflé à bloc et prêt à soulever d’un souffle les pavés, le beffroi , ses carillons et s’il le faut ses lions en marmouset de grès rose ... A mes oreilles et à mes doigts le premier titre passe sans réels encombres : voix bien placée, tension entretenue, mise en place irréprochable ,énergie maîtrisée, gestes appropriés et folie sous-jacente ... pourtant dans le public en pointillé les réactions ,à mon grand étonnement, sont singulièrement timides...

Pas du tout découragé ! je décide de ferrer l’animal fuyant , de le prendre à la gorge ! (première règle des concerts réussis communiquer).
- « salut Arrasbrouck, ça va ?.... ! » ?
Sans attendre la réponse (un pusillanime ouaihhhh ) je lance les percussions électroniques de la seconde chanson. S’agit de rester concentré , de n’ pas oublier de respirer... volontaire ,je brasse l’air a plein poumons... passée l’intro , j’attaque les trémolos vocaux . ... j’embarque dans la navette ...je suis en orbite... j’y crois !

Nos visages à l’envers en reflets dans une cuillère
les pieds en l’air, le nez dans la poussière ,
d’une étoile filante j’ai compté les treize lunes
de nos vies circulaires, impairs et bonne fortune !

A première vue , aucun signe de renversement de l’indifférence polie des égarés du Beffroi, ni de gonflements significatifs des effectifs ...ça en devient vexant...je m’acharne avec le second couplet !

dans les lumières lunaires des ombres sous-marines,
une patrouille d’hommes grenouilles en vadrouille.
En grands cirés jaunes s’agitent des hommes,
brandissant des gyrophares au rythme d’un métronome !

toujours pas de signes tangibles ! je fais abstraction du texte !

J’ai des doutes, sur le sens de nos routes
J’ai des doutes, j’ai des doutes, qui en doute ?


Au break, c’est prévu , je dévoile ,sans aucune démagogie populiste , mon imparable botte secrète ! le moment venu ... je lâche ma guitare et j’encourage les spectateurs dispersés à nous rejoindre et à taper dans leurs mains, ( seconde règle : faire participer le public pour créer la connivence) aussitôt je donne l’exemple accompagné par la grosse caisse ; quelques individus solidaires ou lobotomisés par les drôles et énergiques podiums Skyrock s’exécutent... c’est cool ! des membres du jury piqués de curiosité s’approchent.. vautours autour de leur proie ,médecins légistes autour d’un cadavre encore chaud ou bienveillantes fées autour d’un berceau ? Le Beffroi seul le sait !

Qui en doute ? Qui en doute ?

Je redouble d’énergie ,lance des sourires à la ronde et des regards inspirés ... le petit doigt en l’air ,l’air complètement à l‘aise , désinvolte et professionnel ...du moins en apparence car derrière moi ,trouvant sans doutes la stimulation du public suffisante, la chanson redémarre sans crier gare ! ah les impatients !!! pris par surprise ,je m’emmêle dans les paroles et me rattrape in extremis ... la mise est sauvée provisoirement !
Hélas ,au fur et à mesure la claque s’amenuise, s’éteint et se meure...clac,clac,clac...puis plus rien, laissant tout l’espace sonore aux carillons des quatre cloches, ravies de nous donner l’heure . Quelques spectateurs ,je les vois ,les lâches ...s’éclipsent vers les périphéries et les ruelles adjacentes à usage de sortie de secours ,d’autres s’assoient indifférents et cassent la croûte, habitués aux assiettes en carton sur les genoux et aux gobelets plastiques à même le sol en authentiques amateurs des pique-niques sur la méridienne verte ,( sûrement des écologistes en goguette comptabilisant d’éventuels pigeons !) pas gênés du tout !

Les paroles prennent désormais un sens surréalistes, André Breton à la rescousse !


à l’avant dans l’cockpit c’est la phase euphorique,
l’équipage se gave de substances illicites
au son chaloupé d’un sax qui grimace
des couacs essoufflés d’une fanfare incertaine


lle jury sans doute dégoûté par le maigre engouement effectue un prompt recul. Plus de temps a perdre...la situation est délicate .Je décide d’ allumer un ultime contre-feu ... l’accélération du tempo .... J’esquisse alors quelques pas de danse, travaille à mort mon jeu de scène ; sculpte mon corps en angles bizarres prenant des poses christiques et incantatoires .Pas en reste ,le fidèle guitariste ,excellent danseur mondain par ailleurs, authentique gigolo des thés dansants dominicaux ,traverse l’espace sautillant sur un pied, ondulant des épaules puis des hanches ....Nous nous croisons, nous bousculons au risque de nous étaler, en faisons des tonnes ... virevoltants derviches tourneurs en transe mystique .

J’ai des doutes, j’ai des doutes, qui en doute ?


Bien sur ,j’ai des doutes, ne sommes nous pas dans le no man’s land séparant le bon goût du ridicule ? Certes la chorégraphie est primaire ,nos mouvements disharmonieux , en saccades de poulets sans têtes tentant une vaine échappée vers la vie ...mais la prestation est cent pour cent énergique , tout à fait rock § roll..

Le refrain prémonitoire ,colle de plus en plus à la réalité :

J’ai des doutes, sur les sens de nos routes
J’ai des doutes, j’ai des doutes, qui en doute ?
Qui en doute ? Qui en doute ?
Qui en doute ? ...Des luxures de la déroute.

C’est la fin du morceau ! d’un coup sec j’arrête les percussions qui désormais résonnent esseulées et inutiles sur les pavés... la déroute sûrement , la luxure faut voir ! La place est quasi déserte ; les derniers spectateurs que dans un instant de paranoïa aigue je soupçonne d’être soudoyés par des concurrents déloyaux ... prennent la tangente. La cause est jugée , le verdict sans appel , amen !
C’en est trop pour mon ego ! Je panique, une sueur glacée coule le long de ma colonne vertébrale , mon coeur en pleine hémorragie bileuse, s’accélère angoissé ! livide, je marmonne un vague merci à l’écho qui s’en fou et réprime d’un ravalement de salive un flot d’insultes ( encore une règle : ne jamais injurier le public malgré la colère ! ) .
Je regarde en coin mes acolytes qui esquissent des petits sourires gênés avant d’éviter mes regards désespérés et pitoyables de chien asiatique écorché vif le jour du Tchon-chon quand les réconfortantes chaleurs estivales, propices aux amours naissants , disparaissent le jour fatal où les rivières de poissons argentés se noient dans les blafardes tristesses automnales d’un fleuve abyssal .

Dés lors ,les derniers titres sont exécutés sans pitié et sans sommation ...la force de conviction en débandade ...être ailleurs ... je perds le rythme, le rattrape, il s’échappe à nouveau, démoralisé, je le laisse filer, bonne chance ! les accords passent et pas toujours dans le bon ordre, les soli ,des fausses notes en embuscade , s’écrasent en pleurnichant .Soudain, les éléments naturels se déchaînent ...c’est le coup de grâce, un franc courant d’air ,complice lui aussi, fait s’envoler la liste du set et les paroles posées à mes pieds à usage de pense bête ; la tête en ébullition, la ressouvenance évaporée... j’hurle a peut prés n’importe quoi en totale improvisation ... D’ailleurs ,tout le monde improvise et avouons le ,ce n’est pas notre fort !
Dans un bain acide de transpiration glacée ..je me délite,me liquéfie de rage et de honte ... à en envier le sort de Sisyphe poussant son rocher le foie bouffé par un aigle .C’est dire !
Désormais, les introductions se font à l’arrachée ... les fins en queue de poisson, le tout en variations atonales... dans des gammes encore inconnues... les trois spectateurs survivants ,je les vois là-bas tout au loin, restent figés et incrédules, n’en croyant ni leurs yeux ni leurs oreilles...un numéro comique ? le retour de Steeve Estatoff ? du théâtre expérimental tout à fait avant-gardiste ? Rhys Chatam sans ses cent guitares ?
Non, non...un malchanceux chanteur en pleine défaite, , frappé de plein fouet par un missile post-soviétique...éliminé en direct par un vicelard coup du sort et victime d’un bide total et définitif à ne plus faire que du play-back (Ce qui est beaucoup plus facile ,beaucoup vous le diront !).

Quarante cinq minutes après le début du calvaire ,rapatrié brinquebalant dans la remorque, au bord de la rupture et vautré sur le matériel encore chaud ,tentant de rester poli avec mon entourage, je fume trois cigarettes en même temps avec l’ envie de tout briser pour en faire du petit bois puis des allumettes ... j’hésite entre disparaître sur le champ en fumée et enfumé ou me pendre en martyr avec une corde de mi rouillé !

Pourtant tout le monde s’en fout ! les suivants attaquent leur set ! tout est déjà oublié ..le groupe d’avant et le groupe d’après coupés collés ...nous sommes effacés du disque dur . Encore un coup pour rien...rien gagné, vu personne. .. que le beffroi de l’effroi !

Les organisateurs par mépris , compassion ou oubli ? Nous ignorent .Blessé , je me sens tel un mendiant de feu rouge, l’amour propre exsangue , le regard fuyant, la coupole vide , la supplique mal orthographiée et à peine lisible ; je ne suis plus qu’un minuscule insecte aspiré par le néant face à un beffroi ricanant dans l’écho et émancipé de ce genre d’ humiliations musicales, seigneuriales et épiscopales depuis le glorieux temps des libertés communales .

Soudain ,un pulsion de survie animale, issue d’une frustration trop rapidement accumulée...une chaleur piquante de lave en fusion me parcoure le bas ventre comme un lame de fond , le vernis de civilité qu’il me reste craque , mes hormones se déchaînent , caracolent ... en un mot , je bande ...d’un bond je saute sur la charmante organisatrice bénévole ,tout à fait surprise , venue par hasard aux nouvelles et victime jugée ,à tord ou à raison, responsable et coupable !
Je la serre sans réserve , écrase mes lèvres contre sa bouche qui s’interroge , privée de respiration , elle tente de s’enfuir comme une proie étouffée qui va mourir dans la minute , mais n’en fait rien... je la retiens... j’entends son coeur battre, résonner dans nos côtes compressées.. Bouche grande ouverte , elle halète sous l’exploration vengeresse de ma langue abrasive ...je la laisse un instant happer l’air saturée et glisse vers son cou tendre et parfumé ou palpite un sang bouillonnant et désemparé que je tente de rafraîchir et de rassurer d’une généreuse salive !
Sans attendre , négligeant toute retenue, je l’entraîne sur la paille synthétique ; mes mains soulèvent ses vêtements en désordre, dégage sa poitrine prisonnière du Wonderbra et se posent fébriles sur ses seins désemparés mais libres comme des poussins orphelins au creux d’une paume agile ; j’agrippe ses fesses mouvantes ,caresse son ventre d’une douceur de pêche encore ferme , joue de la langue autour du piercing de son nombril et encore mille autres caresses... je m’habitue peut à peut à la texture de sa peau, à la rondeur de ses formes, m’enivre de son odeur ...
Sa résistance commence à battre en retraite... je sens les réceptacles prêts à s'entrouvrir...d’un geste agile , je baisse son pantalon treillis et descend vers ses cuisses chaudes qui s’agitent affolées, puis je la retourne en écartant le mince obstacle de tissu qui glisse et crisse, la vue est magnifique... malaxant sans vergogne ses fesses au galbe lisse de galets polis ,je parcoure la raie de l’index , frôle la cible... gênée elle ferme les yeux, se crispe et creuse les reins ...C’est émouvant !
Mais je ne me laisse pas attendrir ,en mâle dominant chanceux propriétaire (hélas provisoire !) de sa croupe , j’y imprime sur la partie gauche la marque de mes doigts en forme de « V » , comme les cow-boys au Far West !

A ce stade délicat , j’hésite sur la marche à suivre ! dans quel ordre organiser mes cinq sens ? Quels territoires intimes explorer et de quelle manière ? Mon instinct et une certaine éthique (nous nous connaissons à peine !) me conduisent vers les bords satinés de son sexe ... ma main pillarde s’enhardie ...elle se laisse faire ...guide mes doigts... s’offre... gémit ...ondule, se contracte et se relâche ...me relance... dans la foulée joyeuse, je sort tout naturellement mon membre , depuis un moment érigé, et le plante sans ambages dans la faille accueillante qui ruisselle écartelée ,transpercée et transportée par les rapides successions de coups reins ...
Fougueux et admirables ,au comble de l’excitation charnelle, nous nous abandonnons ,roulons sur le plancher de la remorque vibrante qui soulage nos efforts , nous suivons son rythme, épousons ses secousses, profitons des accalmies allongés dans la sueur ,les articulations rouges et rabotées par les aspérités des planches ...toujours galant, je glisse rapidement sous ses fesses écarlates et striées mon blouson de cuir marron pour aussitôt reprendre les va-et-vient dans un charivari de décibels et d’applaudissements sporadiques !

les éternels costumés gris et oranges de la Croix Rouge ,alertés par l’attroupement devant la remorque de curieux privilégiés ,bouches bées et n’en manquant pas une miettes (se croyant sans doutes, dans les dunes d’une plage nudiste du Languedoc Roussillon ...) , tentent à nouveau d’intervenir ,cette fois en vain ; aimant que le fer attire nous ne formons plus qu’un seul corps qui s’ébat étourdi de volupté languissante , montant à l’unisson et par à-coups vers le piquant moment ...

C’est pendant le premier rappel du super chanteur vedette adepte du mauvais goûts et du nihilisme bon enfant (en lointain héritier du professeur Choron et de Gogol Ier pour le propos et des belges de Stella pour la musique à l’orgue Bontempi...) que tout à coup ,au bord de l’évanouissement , j’explose dans le calice qui m'emprisonne ...( non sans avoir préalablement oublié d’enfiler la protection en latex récupérée, il y à peu, à un concert sponsorisé des « Bloody de Biloxi »).
Devant nous, s’étale désormais une place noire de monde, une fourmilière réceptive et hilare ...les applaudissements ( je les entends enfin !) nous semblent destinés. J’étouffe du creux de la main gauche ses soupirs lascifs pendant que nos doigts se rejoignent, se croisent , se caressent une dernière fois puis se relâchent... Epuisés et groggy par ce flot de jouissance inattendu , nous nageons dans les effluves de dopamine , partageons notre bonheur avec la foule heureuse, flottons au dessus d’elle dans un halo de lumière rose électrique , tous les bras tendus vers nous mais où étaient-ils, il y a encore quelques heures ?

Puis tout rentre très vite dans l’ordre, l’organisatrice encore agitée de contractions langoureuses , se rajuste et retourne à ses obligations , le chanteur populaire balance une dernière connerie et s’éclipse sous les bravos, le jury égrènent devant la foule indifférente les noms des gagnants du tremplin, pendant que la place du beffroi se vide aussi vite qu’elle s’est remplie !
Accompagnant la foule fuyante , je déambule anonyme sur les pavés et épuise mes derniers tickets boisson que je partage au bar avec une très jeune et charmante joueuse de batterie d’un aimable groupe néo-sixties arti et hyper looké , eux aussi privés de podium. Nous nous mettons d’accord sur la conclusion à tirer de ce triste concours : « rien à foutre et au diable les remords ! »

Un quart d’heure plus tard, sur une nappe défraîchie du café « bunker » qui sert d’espace de repli aux troupes terrassées par l’âpreté de la compétition et ses multiples péripéties ; bon prince, je griffonne d’un geste altier quelques vers sur une nappe défraîchie , pendant que l’organisateur en chef ,mon voisin de table, remplie à la vue de tous les chèques des gagnants et de la vedette qui après quelques banalités d’usages remercient et s ‘enfuient sans demander leur reste... on se croiraient à la Poste le jour des Assedics.... c’est affligeant . Toujours transparent aux yeux de tous , j’arrache le papier gondolé et le glisse en guise d’excuses dans le seul élastique encore valide de l’organisatrice qui ,les bras ballants et encore en état de choc , tente de faire bonne figure ; pourtant , elle n’a rien à regretter, après tout l’accueil improvisé a été parfait, d’une exquise et touchante réussite sexuelle ...

D’une ultime révérence (il faut toujours garder la classe !) ,je me laisse glisser vers la sortie...vers l’oubli et le pardon d’une voie rapide qui nous ramène vers la mer du Nord et ses autres beffrois qui tentent eux aussi de caresser le ciel , de consoler les nuages aux humeurs grises qui prennent la forme de mille visages ... appelant vers eux les géants terrassés, les bandeurs impromptus , les poètes inconnus et les chanteurs déçus ...

Sur les pavés érodés de déroutes et de fêtes,
d’émotions populaires qui lui sont familières ,
les cloches sonnant le glas ,j’ai crié dans l’désert
où souffle le vent hostile d’une place qui se vide

en dernier réconfort mes mains foulant ton corps
d’ une subite luxure, volée dans la défaite
à toi la gentille que je croque , que je quille
tu mérites une encoche sur mon manche de guitare

je ne te dis pas merci , pour ce con tremplin
mais merci pour l’accueil de ton cul ,de tes seins
je ne reviendrais plus sur la place d’Arrasbrouck
le beffroi de l’effroi n’entendra plus ma voix


Luc DMK novembre 2005

Echouage maraboutique !

« La nuit avec tous ses monstres entrait alors dans la danse ...Et puis plus rien que les Noirs du village et leur tam-tam, cette percussion radoteuse en bois creux ,termites du vent. » Céline.  Voyage au bout de la nuit .

Je me suis échoué à peu prés là ,en voisin involontaire de mégots et de préservatifs usagés ...de sacs plastiques étouffeurs de tortues et autres reliefs de pique-nique . Là ,dans ce sable souillé par d’à peine visibles mais bien réelles boulettes d’hydrocarbures. Oui ,juste là, à l’endroit où la vaguelette cogne vainement le bas de la jetée tout juste attaquée par l’érosion, puis se retire en abandonnant les piètres nageurs, quelques coquillages ouverts et agonisants , une poignée d’étoiles de mer suicidaires , des poissons crevés et autres déchets ... Ensablé depuis déjà pas mal de temps et enfoncé assez profond, les marées passent et me repassent dessus sans grands effets propulsifs ! Je ne fais plus que du sur place ou alors j’ avance à reculons comme un crabe déboussolé ...en victime potentielle d’une prochaine et inéducable marée noire !

Bien sur, avouons le par probité ,dés le départ les lacunes étaient immenses ! Jamais en haut de la vague, mes chances étaient minces, voire quasiment nulles, de parvenir à poser un pied, puis deux ,sur la digue de la Reconnaissance pour courir rejoindre le fringant peloton des surfeurs postulants à la réussite . Pourtant fidèle au principe de Pierre Coubertin, je réitérais sans cesse mes efforts et cela malgré les premiers signes tangibles (qui auraient du m’alerter !) de découragement et de défection!

Je suis comme un voilier qui toujours reste en rade

le plus dur reste à faire, rassembler l’équipage ;

Dans la bière et l’absinthe j’en ai pourtant saoul

Ont-ils perdu l’instinct de l’oiseau migrateur ?

L’ivresse du vent salé perdu dans les vapeurs 

leurs pieds collent au bitume qui fond sous le soleil.

délibérément optimiste malgré les obstacles ,les fausses pistes et autres cul de sacs , je me laisse bercer par le mirage du voyage ...

Regarde les hirondelles en lignes parallèles

du tremplin magnifique des pylônes électriques

s’en aller vers l’Afrique, ses rivages extatiques .

je voudrais retrouver le goût de l’éphémère,

les éternelles voyages de ces peuples nomades.

Installer la vigie, jumelles sur l’horizon.

Le renoncement est un crève-coeur !

Mais je suis prisonnier de cette toile d’araignée

Le piége d’un ciel si bas toujours chargé d’antennes

je me sens si lourd, je ne peux m’envoler

Regarde les hirondelles en ligne parallèles

Du tremplin magnifique des pylônes électriques

S’en aller vers l’Afrique, ses rivages extatiques.

Regarde les hirondelles...

Il en a fallu du temps pour que j’arrête ,une bonne fois pour toutes , de m’identifier à leurs longs vols qui disparaissent dans l’horizon de septembre vers le désert saharien et les forêts équatoriales ou pullulent les oiseaux paradisiaques, les tipules, les mouches géantes , les moucherons et les moustiques buveurs de sang qui leurs tapisseront l’estomac. Nous n’avions pas les mêmes goûts culinaires ;  c’était incontestable  ! Je ne suis plus ( l’ai-je été un jour ?) de taille pour le grand voyage de 10000 Kms (rien qu’à l’aller !) quand le courage et l’énergie déclinent ,la lassitude morale main dans la main avec l’épuisement physique ; réduit à la quasi- l’immobilité  par ce couple diabolique, des briques dans les poches ,chaque jour plus pesantes, de lourdes casseroles au cul, je n’avance plus que comme un escargot ne laissant derrière lui que des traces de bave assez peu ragoûtantes... peu de navires escales auraient accepté de m’héberger pour me fortifier et dissiper ma fatigue , rendant ,de fait, fatales les traversées de la « mare nostrum », ou du désert des tempêtes par gros grains !

Résigné à la prudence, je suis devenu ce voyageur immobile à l’abri des courants les plus violents et des aventures les plus risquées ...

En conséquence, des nouvelles vagues ,ne m’atteignent plus que de pâles et volatiles éclaboussures qui n’arrivent plus à régénérer mes forces en déliquescence ... le bruit de la marée de plus en plus loin, de plus en plus imprécis, les deux mains dans les poches, je décroche ... coupé dans mon élan par des obstacles invisibles et l’absence de direction précise, je reste les yeux écarquillés cherchant un signe là bas du coté du phare qui peu à peu se floute et se dématérialise pour ne devenir qu’une désuète et jaunissante image de carte postale ; invariablement mes bras ,qui n’enserrent plus rien qu’un peu de rêve moribond et fuyant, s’écroulent dans le vide cognant mes genoux tremblants. Frappé d’aphasie ,les mots restent bloqués dans ma gorge ,la glotte désemparée et noyée dans une salive glacée que je n’arrive à expulser ... piètre cracheur , désormais hors compétition, le festin au banquets des vainqueurs ,n’est plus pour moi . J’ai d’ailleurs perdu l’appétit qui de toute façon n’avait jamais été bien grand !

D’ailleurs ,chaque vague successive amenant son lot de coureurs de fond jeunes et enthousiastes prêts à tous les sacrifices et aux prises de risques les plus insensés  ! Faisons confiance à cette vorace concurrence pour nous pousser définitivement sur les arrières et ne nous laisser en partage que la portion congrue !!

Laisser passer ventre à terre les fiers à bras les va-t-en guerre

Vagues circulaires de charognards toujours parés pour la curée

Je préfère fermer la marche poussé par la voiture balaie

Quitte à n’avoir dans mon assiette à caresser de la fourchette,

qu’un os de moineau à ronger

un os de moineau à ronger !

un os de moineau...

La proie des rapaces statufiés guettant sur les bords de l’highway

Les coureurs attardés privés de couronnes de lauriers

Pas de place sur le podium ni de baisers de miss Dom Tom

et je n’ai dans mon assiette à caresser de la fourchette

qu’ un os de moineau à ronger ...

Je suis bien trop velléitaire

Certains diraient démissionnaire

Quand je sens l’ anneau du serpent

Glisser dans le dos en noeud coulant

Je laisse ma part de gâteau aux obèses de l’ego

Quitte à n’avoir dans mon assiette que je caresse de la fourchette

Q’un os de moineau/qu’un os de moineau

Qu’un os de moineau à ronger !

Laissés pour compte, mais somme toute assez satisfait d’avoir survécu grâce à quelques miettes d’un discret talent ,je conserve une modeste mais bien réelle pugnacité ; j’ai encore quelques bonnes dents capables de grignoter voire de mordre ...c’est pourquoi , en utilisant des capsules de canettes ,les bouteilles jetées à la mer, des couteaux et des algues séchés ,quelques plumes mazoutées, des pneumatiques et des barbelés datant encore du mur de l’Atlantique ... en fait en utilisant tous les moyens du bord ... j’ai décider de construit mon fragile abri de sable  ,mon petit Hôtel d’ Abyssinie ,ma case de l’oncle Tom, mon ultime ligne Maginot (qui comme tout le monde le sait, n’a jamais servi à rien !) pour protéger et continuer à faire fructifier le mince pactole de ma petite entreprise, qui n’attire ,il est vrai plus vraiment les convoitises !

J’en étais donc là, aimable agioteur agité dans les paisibles rails d’un petit confort bourgeois de musicien amateur, à entretenir gentiment la muse , quand je suis tombé sur ce minuscule prospectus photocopiée, échoué lui aussi au milieu de publicités aussi colorées qu’inutiles que ma boite aux lettres au bord de l’indigestion, dégueulait ! C’était le tract d’un supposé marabout .Curieux de nature ( bien m’en pris, sa lecture était délectable !) ..., je le parcourais en ricanant par à coups à chaque promesse de réussites universelles ,d’amours indestructibles et de guérisons exceptionnelles ...

Il faut l’avouer ,Monsieur Kaba Mombolo possédait l’art de la jonglerie formulesques  ... C’était le pape du flyer, le messie du miracle ,le Richard Virenque du philtre magique ,l’Elvis Presley de la palpation , l’ayatollah du talisman voire le Gérard Majax du désenvoûtement ... Jugez en par vous même :

Monsieur Kaba Mombolo

GRAND MEDIUM- EXTRALUCIDE- PUR GUERISSEUR AFRICAIN TRADITIONNEL -DE PERE EN FILS DEPUIS PLUSIEURS GENERATIONS- SERIEUX, DISCRET ET COMPETENT .PAIEMENT APRES TRAVAUX .
RESULTATS IMMEDIATS GARANTIS

Résolution de vos problèmes même dans les cas les plus désespérés,aperçus sur votre avenir, chance, travail, amour et fidélité entre époux , mariage, examens ,permis de conduire, problème de famille, impuissance sexuelle, stress, succès et attirance de la masse et du peuple vers soi , aide à la création d’entreprise ,soigne folie et toute sorte de maladie, si ta femme ou ton marie est parti, il (elle) reviendra dans une semaine, attraction de clientèle pour vendeur, peut prédire l’avenir par palpations des glandes mammaires et fessières (uniquement pour les clientes) etc..

REUSSITE A 100% LA OU LES AUTRES ONT ECHOUE

Déplacements ou traitement par correspondance possible .Troisième oeil de la vigilance et du guidage

Je reçoit TLJ sur RDV 24 h sur 24
Tèl: 03 27 51 20 21 www.kabamombolo.free
06 96 66 69 60 Kaba- marabout@worldonline.fr

Evidemment, une offre pareille dans ma modeste boite ,c’n’était pas une première , mais cette fois ci , je l’interprétais délibérément comme un discret mais bien réel signe du destin , disponible 24 heures sur 24 (en quelque sorte ,un SAMU maraboutique ...) ; j’aurais bien coché plusieurs cases , souligné au fluo plusieurs mots clefs... mais il fallait se concentrer sur l’essentiel : cette sentence qui faisait tilt « succès et attirance de la masse et du peuple vers soi », j’y voyait une occasion unique de mobiliser le public, à la fois par pure pragmatisme (il me restait encore quelques centaines de mon dernier cd à écouler...) mais aussi par naïve ambition, pour enfin tutoyer la chance que je voyait me sourire, ou du moins me faire un clin d’oeil...avant de me foute un coup de pied au cul pour m’encourager à rejoindre les enthousiastes coureurs.

Non seulement doté de ses immenses pouvoirs ancestraux, ce cher monsieur Kaba Mombolo disposait des moyens de communications les plus modernes ,le téléphone, le portable et l’Internet .... Après avoir jeté un coup d’oeil rapide sur son site pour recueillir...hum... quelques étranges témoignages : 

«  Je vous remercie pour le vrai soulagement que j’ai eu pour mes hémorroïdes que j’avais depuis trois ans », ou encore  «  Je vous remercie de l'aide que vous m'avait apporté dans la vente de mon troupeau de vaches », ...Pourtant l’un d’entre m’intéressait au plus haut point  : « grâce àvotre travail efficace ma dernière chanson est passée sur les ondes d’une radio locale ,j’ai signé un contrat pour une fête municipale et placé deux de mes titres sur un compilation à but caritatif . » ,c’était encourageant !  

Décrochant sans plus attendre mon téléphone, je me lançais vers l’inconnue ,vers cet alléchant destin qu’il me tardait de connaître ...

Je lui expliquais succinctement mes attentes et le rendez vous fut fixé en quelques minutes pour le soir même ( il travaillait à flux tendus !) ,je montais aussitôt dans ma voiture prêt pour un périple que j’évaluais à environ trois quart d’heure en prenant l’autoroute qui longeait la sinueuse bande côtière. Il était environ 19 heures , le couvercle étoilé tombait vite ,enveloppant le cordon d’asphalte qui par tranches successives s’éclairait pour ressembler à un long serpent fluorescent ,apparaissant et disparaissant au grés du relief vallonné dans les couleurs rougissantes du crépuscule pour se mélanger sans pudeur avec les phares des voitures .Les fumées d’usines et les néons kitschs et agressifs des zones commerciales distillaient leurs fausses et artificielles promesses d’extases consuméristes ...

Désormais en pilotage automatique, ces visions suburbaines ,propres à la méditation, me plongeaient dans une humeur maussade aussitôt suivie d’ angoisses qui n’avaient plus rien de latentes ;pour tout dire : les tripes à se tordre ... le doute s’insinuait sur la pertinence de ma démarche ...puis la curiosité et la singulière excitation propre aux explorateurs occasionnels reprirent le dessus , la douleur s’atténua ...Je n’avais somme toute rien à perdre !

Me laissant alors entraîner par le flot continu des camions (qui nous collent tous toujours d’un peu trop prêt !) ,je reprenais mon jeu débile et enfantin de statisticien en goguette : compter les poids lourds Willy Betz que je croisais pour arriver au résultat empirique ,qu’en une petite heure environ, une remorque sur dix portait cette enseigne allemande ou les conducteurs sous payés des pays l’Est doivent se plier ,sans mots dire, au slogan,« se mondialiser oùmourir ! » . Eux aussi travaillaient 24/24 heures !

Quarante cinq minutes plus tard ,arrivée à la hauteur de la ville portuaire , je quittais rapidement l’autoroute pour me diriger vers le quartier périphérie qui répondait au charmant patronyme du « Pin Pointu »  ,là où se trouvait le « home sweet home » du marabout. En fait de pins pointus les quelques espaces verts encore visibles étaient gangrenés par des dépôts d’immondices et de déjections canines . Nous étions dans une morne banlieue ,érigée de barres rectilignes et d’espaces pavillonnaires décrépis et érodées par les bourrasques minérales et odorantes ,frappée de plein fouet par les affres de la crise économique et depuis longtemps désertée par les classes moyennes triomphantes des « Trente glorieuses » pour ne laisser place qu’aux pauvres « white trash » en sous-France et aux populations de migrants, tous « fils et filles de laRépublique »,  issues d’échouages successives .

Le spectacle était édifiant : cabines téléphoniques pulvérisées, éclairage public aux abonnés absents et l’inverse , arrêts de bus ouverts à tous les vents et visiblement abandonnés, commerces en déshérence aux vitrines remplacées par des panneaux de contre plaqué couverts d’affiches cramoisies qui vantaient les mérites de messageries roses , de courses de tracteurs et de Fêtes country avec au milieu quelques salutaires placards photocopiées d’un groupe de rap hardcore local « C.Dition » Les affiches représentaient un carton de stand de tir sur fond rouge sang ,au centre de la cible un individu dessiné à partir de la taille , le visage dissimulé derrière un keffieh et le poing en l’air, tenait de l’autre main un cocktail Molotov millésimé « Viva Che Guevara  !» ... elles recouvraient celles à demi arrachées et au design presque similaire (à la couleur ,au slogan et au costume prêts !) du « Bloc identitaire » , « groupuscule de jeunes gensperdusde l'Occident post-moderne » selon Maurice Dantec ce corbac lugubre et paranoïaque . En vérité ,des racistes franchouillards et fascisants , fascinés par la vision de leurs cadavres qui n’en finissaient plus de pourrir ...les autres devantures cachées dernières d’austères rideaux de fer graffités donnaient à la cité du « Pinpointu » l’allure d’une ville fantôme en proie à un endémique choc des civilisations .A bonne distance, quelques ombres furtives croissaient le halo jaune des phares tel un peuple souterrain fuyant les dangers de la surface , ce purgatoire qui ne pouvait leurs éviter ,hélas, l’enfer quotidien  ! Oui je sais, je m’épanche larmoyant , doloriste ,sensible à vif ... il faut dire que le tableau n’inspirait guère à la franche déconnade ! Je présentais même une insidieuse menace , par chance , au volant de ma caisse usée jusqu’ à la corde et qui prenait l’eau (quelques lichens proliféraient discrètement dans les encoignures des vitres et des portières ! ) ,je pouvais espérer passer inaperçu !

Suivant le plan posé sur le siège passager , je m’engageais entre deux barres d’immeubles sur l’ « Avenue de laCommune de Paris » (la municipalité était sans doutes marxiste !) , pourtant ici rien n’encourageait le merle moqueur à siffler le pourtant mélancolique «Temps des cerises » qui cultive l’ ivresse morose d’un léger mal de vivre pour laisser place par touches successives à une joie subtile et tout à fait volatile .Ici le malaise ne prenait pas d’artifices poétiques ,il était de béton et de fer ,de sueur et de sang ,froid , sec et implacable.

En fait d’avenue ,la minable route truffée de nids de poules, ,s’arrêtait sur un cul de sac, un mur de béton tagé sur plusieurs couches ,la dernière certainement encore fraîche, portait un cinglant « NTM sarkozy ». Mon objectif était le dernier immeuble sur la gauche , le N° 6, qui devait répondre au nom de Youri Gagarine (je n’avais désormais plus d’hésitations sur le « matérialisme historique » de la mairie ! ). Me fiant uniquement au gros chiffre , j’arrêtais mon véhicule sur le parking au pied de l’immeuble entre deux voitures ,un vieux modèle désossé de Peugeot 405 , les essieux sur des parpaings ,et une carcasse fraîchement calcinée peu identifiable pour un néophyte ; c’était une évidence, ces deux véhicules ,désormais refuges pour chats errants et autres catégories de déshérités , avaient du connaître des jours meilleurs . D’une démarche anodine , recherchant la plus désinvolte discrétion, je me frayais un passage entre les poubelles et les caddies abandonnés (qui leurs heures venues servaient à des « courses » les plus étonnantes  !) et m’engageait dans le hall d’entrée éclairé par une pauvre ampoule intermittente et vacillante ... Un rapide coup d’oeil sur les alignements de boite aux lettres dont certaines n’avaient pas du recevoir de courrier depuis longtemps , confirma sur ma destination :

Sur l’une d’entre-elles, tachetée en léopard ,par admirable soucis du détail, était inscrit en lettres d’or collées sur un support de bois grossièrement ouvragé :

Monsieur Kaba Mombolo (Grand médium africain)

Appartement 627 ,sixième étage consultations 24/24

Me restait encore la délicate étape de l’ascenseur, (un système d’élévation qui n’a pas très bonne réputation dans les banlieues !) sa fonction usuelle étant fréquemment détournée ... ainsi une fois appuyé sur le bouton gras , quand les portes s’ouvrirent sur la cage métallique dans un sinistre cliquetis ... je compris enfin le choix de Youri Gagarine, (enlevez le yori et le gaga) pour décrire les effluves que dégageait l’ascenseur ...

A l’intérieur ,j’essayais sans succès de décrypter les signes sibyllins des bandes de grapheurs pendant que l’ascenseur s’arrêtait sans raisons apparentes à chaque étage ,dans un vacarme grinçant de train fantôme parkinsonien et claustrophobe  ...

Arrivé au sixième étage , au risque de m’électrocuter, j’allumais la minuterie ... le spectacle était tout aussi détonnant , des rallonges sortaient de plusieurs appartements pour se brancher sur les prises surchargées du couloir, des plaques électriques étaient posées à même le sol ... de la nourriture moisie ,des fringues défraîchies et des cassettes vidéo jetées en vrac dans des sacs de voyage et des sacs poubelles ,semblaient abandonnés là  sur les matelas qui s’entassaient dans un coin ...le tintamarre était saisissant : sonneries de téléphones, pleurs et cris d’enfants, disputes familiales ...faisaient concurrence aux postes de télévision qui hurlaient en différentes langues et déversaient leur flots d’images mondialisés, grâce aux paraboles ,que j’avais vu de l’extérieur , telles des méduses tremblotantes secouées par le trafic ininterrompu des proches lignes de chemin de fer qui ployaient ,pauvres tiges, sous le poids des wagons dégueulant leurs biles rougeoyantes et fumantes vers les quelques usines encore en activité...

La minuterie fatiguée s’accorda une pause ,plongé alors dans une obscurité assourdissante , je ne pouvais rater, même à l’aveugle , la porte de monsieur Kaba Mombolo , elle était entourée de guirlandes lumineuses et clignotantes « Made in China » et constellée de petits morceaux de papier fixés avec des punaises ou des chewing-gums. J’en lisais quelques uns, il s’agissait de brefs messages de remerciements ,d’ex-voto païens ,voire de petites annonces les plus diverses passées là en loucedé  ... ( le rôle social du marabout éclatait ici comme une évidence !) . Avant d’y accéder, il fallait encore enjamber l’ineffable autochtone madame Simone F. (son nom était sur la sonnette !) qui de manière récurrente ( en fait presque chaque soir ! ),roupillait complètement saoule sur le paillasson de son appartement, incapable d’introduire la clef dans le trou de serrure et ramenée ici par une âme compatissante dans le caddie trônant à ses cotés ... Reprenant mon souffle ,je frappais à la porte avec patte d’antilope pendant au bout d’une ficelle qui était , je le supposais, destinée à cet usage !

Un tonitruant , guttural « entrez mon ami ,c’est ici ! » résonna dans le couloir ; je poussait la porte ...Devant moi, à quelques pas , le marabout se dandinait en se frappant les cuisses tout en s’avançant vers moi et me salua d’une énergique poignée de main ...au contact de sa peau, un fluide tiède et sensuelle parcourue mon avant bras . Essayant d’analyser au mieux la situation, j’étais à la fois séduit et mal à l’aise ... Il fallait pourtant l’admettre ,c’était un homme magnifique, massif , ,solide en mollets , à la figure ronde et avenante traversée d’un sourire énigmatique qui laissait la part belle à ses dents en or et qui provoquait le plissement de ses joues faisant onduler des scarifications semblables à de courtes lianes tressées ...les cicatrices s’arrêtaient à la base des yeux ,pour l’instant dissimulés derrière d’épaisse lunettes à monture crocodile ...vêtu d’un bogolan traditionnel aux lumineuses couleurs végétales issues de décoctions de feuilles et de boue séchées au soleil , les broderies évoquaient des formes plus ou moins géométriques voulant imiter sur le devant le pelage d’un fauve et à l’arrière les empreintes d’une peau de serpent ...Monsieur Mombolo reflétait l’élégance altière de l’Afrique . Tout à fait Maraboubou chic!

-« Je suis très content de vous voir mon ami , bienvenu dans moncabinet ! Ne craignez rien , détendez vous ! ».sa voix s’était singulièrement radoucie devenant presque caressante !

La curiosité en alerte , d’ un coup d’oeil incrédule et circulaire ,je découvrais l’agencement du cabinet maraboutique ; dans cette pièce au lino en morceaux et aux murs décrépis, un douteux liquide brunâtre coulait sur la cloison mitoyenne de ce qui était, je le suppose, la cuisine ou la salle de bains ; sur la paroi opposée était dressé un genre d’autel voué au syncrétisme religieux le plus total : des statuettes peintes et grimacantes aux cheveux ébouriffés, portant des colliers et des médaillons de pacotilles ; certaines transpercées d’aiguille à tricoter se reflétaient dans une multitudes de miroirs et de carafes en verre éclairés par une rangées de bougies dégoulinantes... des éléments hétéroclites de cultures populaires s’y mêlaient sans aucune logique apparente : des bouteilles de sodas, des bouchons de réservoir de Mercedes ,des enjoliveurs et des photos de playmates côtoyaient un vieux cliché du pape agrafé sur un vieux 45 tours de Patrick « born to be alive » Hernandez ... face à moi ,le bureau du marabout ,recouvert d’un drap blanc ,avec tracé au milieu une croix dans un cercle ,supportait un véritable bestiaire naturalisé . Je reconnaissais un lézard ,un rat musqué , quelques scarabées, deux serpents et d’autres reptiles inconnus... ainsi qu’un pauvre chat blanc figé à tout jamais dans la position du dos rond , le marabout tout en m’observant n’hésiter d’ailleurs pas à le caresser, bien inutilement ,dans le sens du poil ; au milieu de cette macabre ménagerie, le crane desséché d’un pauvre macaque ,qui servait de support à de robustes bâtons d’encens ,diffusait une fumée acre et suffocante... pour la touche exotique finale , le son aigu de la chaîne Hi fi ,au pied de la fenêtre aveugle, abreuvait l’espace de sons synthétiques et de chants d’oiseaux ,censés illustrer une jungle imaginaire digne du Douanier Rousseau (un cd acheté, je pense, dans une de ces échoppes « New age » à usage des citadins stressés !) ,et faisaient écho aux bruits domestiques du palier..

Dans cette pièce exiguë ,qui manquait, d’aération  la chaleur était suffocante ...Des tentures cramoisies , recouvrant la fenêtre , le plafond et les quelques espaces de murs encore libres ,tentaient sans réel succès de maquiller le cloaque surchargé en cocon  !

Toujours plus insolite , plantée sur ma gauche ,à coté du bureau ,une statue haïtienne d’environ 1,50 m était couverte de clous, de perles, de plumes et de peaux de bêtes. Seuls les bras étaient laissé à nue. La tête couverte de coquillages et les deux cornes au sommet du crane ,lui donnait l’allure d’un Minotaure trash prêt pour la curée.

L’affable Monsieur Kaba Mombolo de derrière ses lunettes de soleil me regardait souriant de toutes ses dents aurifères , une toque léopard (la Bokassa « touch » !) enfoncé jusqu’aux oreilles .Sans prononcer une parole il semblait pourtant me dire « bienvenu au cœur de l’Afrique de nos ancêtres communs !  » ; je ne m’attendais pas à un tel dépaysement ni à une telle filiation  , sauf peut-être celle de Patrick Hernandez !

il me réclama alors les ingrédients nécessaires à la cérémonie que penaud je lui tendis : les deux pochettes plastiques contenaient quelques molécules émanant de ma modeste personne : des rognures d’ongles, des poils pubiens et de cheveux , quelques gouttes de sang et de salive ,sans oublier les 200 euros payables d’avance , qu’il rangea aussitôt dans une boîte reliquaire en ébène où étaient conservés ,me dit-il ,les ossements de ses glorieux ancêtres avant de m’avertir brièvement sur le déroulements de la consultation destinée à m’attirer le bon oeil de la clairvoyance et l’affection des forces obscures et bénéfiques ... Pour cela, j’allais devoir répéter comme un perroquet ,quitte à ne pas en comprendre le sens  , les incantations qu’il me soufflerait ... insistant sur le nécessaire bon déroulement de la cérémonie qui exigeait de ma part la docilité la plus totale , il ajoutait goguenard agitant ses gris gris -« sinon je ne réponds plus de rien, je vous laisse seul en face à face avec les esprits malins ,ha ha ha ha... »

Sentant ma réserve et pour éviter un bien légitime revirement, il me servit ,sans attendre ,un breuvage épais et coloré, selon lui ,à base d’alcool de baobab ,de litchis, de koutoukou , de gingembre et d’une mystérieuse et clandestine herbe de féticheur ,l’ensemble était officiellement destiné à me détendre et à m’ouvrir les sentiers de la perception ! Je lui accordais ma confiance , je n’avais plus le choix et j’ingurgitais le calice jusque à la lie ... Ai-je était imprévoyant ?d’une naïveté suicidaire  ? il faut l’avouer, c’est à partir du moment où le liquide au gout...hum...particulier me polluait la matière grise que tout devient pour le moins bizarre ,terrifiant ,expiatoire ...à en bousculer l’entendement !

La potion amer ,l’odeur musquée des carcasses mélangée à l’encens, la chaleur poussiéreuse et le kaléidoscope de couleurs nauséeuses me plongèrent aussitôt dans une torpeur paralysante alors que dans mon cerveau parfaitement en éveil les synapses se connectaient à une vitesse vertigineuse ,je voulais fuir, trop tard... chaoufff ,ça y est, j’étais parti... dans une luminosité brumeuse et pourtant de plus en plus aveuglante , je voyais les carcasses empaillées reprendre vie ...grrrr ,le chat blanc ,l’oeil agité, me regardait bizarrement prêt à bondir, à me griffer et à me dépecer , pssss , les serpents froids et visqueux glissaient entre mes jambes ,s’insinuaient sous mon pantalon (je lâchais en légitime défense quelques prophylactiques jets d’urine !). dans les secondes qui suivirent, je me retrouvais subitement en tête à tête avec le macaque ricanant et crachotant de la fumée dans mes yeux rougies et vitreux devant lesquels couraient les scarabées affolés  ; le Minotaure trash se mit à gesticuler, digidim ,vlac et vlim ...faisant cliqueter sa quincaillerie dans les bruits de casse tout en poussant des gémissements à peine humains ...il piétinait férocement deux créatures soumises , des femmes panthères qui exigeaient de lui un autographe ! (Que faisaient-elles là ? elles étaient ridicules !) .,les murs élastiques bougeaient dans un roulis rythmé d’où émergeaient des ombres fantomatiques , huhulantes .Les portes ...Ding ,brim dzim ,blaoum .. claquaient dans le vide avant de laisser apercevoir de pauvres hères implorants et menaçants ; leurs membres décharnés  avaient subi d’effroyables mutilations chirurgicales ... Boum,boum ,boum ,boum ,boum ,buom ,boum...les tam tam assourdissants ne venaient plus du fond de la pièce mais d’un coeur musclé , fluide et nerveux qui inondait la forêt tropicale de ses artères palpitantes et généreuses .La température avait encore montée d’un cran ...c’était certain  ! désormais j’y étais en Afrique dans les chaleurs moites, fantasmagoriques ,démoniaques et pourrissantes ... tsee tse ,tsee ,.. déjà de zélés moustiques anophèles femelles me grignotaient les cuisses , buvaient ma pisse ...dans les épaisses volutes d’humidité chlorophyllienne quelques visions familières ..était-ce de la démence ?.. me narguaient ! Oui, ils étaient tous là mes amis de la ménagerie : le singe lanceur d’oranges caché dans les fougères ,les perroquets bariolés , les tortues centenaires, les courageuses hirondelles pas fatiguées du tout, les papillons Sphinx à tête de mort, les lions mangeurs d’hommes ...les hallucinations étaient de plus en plus rapides ... les scènes défilaient sans plus aucunes cohérences ...emporté par l’ivresse fiévreuse ,des crampes à hurler, je ne cherchait même plus à comprendre... Le marabout hilare et en solide bandaison , un ignoble troisième oeil au milieu du front, dansait dans les flammes virevoltantes ,un diable crucifié à tête d’âne était dévoré en rythme par une vierge gore affamée et entièrement nue ,un crucifix planté dans le ventre lui ressortait par l’anus , des troncs d’arbres vacillants s’écroulaient dans des craquements déchirants pour se transformer en cercueils écarlates puis en pirogues agiles qui glissaient sur un largue fleuve abyssal , zigzaguaient ver la mer et ses funestes armadas négrières dévoreuses d’esclaves, qui pour quelques instants encore murmuraient et sanglotaient en croupissant au fond d’un trou puant la charogne , là bas sur l’île de Gorée ,des chaînes massives et sanguinolentes aux pieds ...autour de moi la confusion était totale, ça suait, grattait ,suffoquait, sifflait , fourmillait dans les flatulences pétaradantes ... vroom, broum ,crac ,du sol au plafond tout était éventré ,éviscéré ...une honte terrible, une hécatombe pas croyable , pestilentielle ... je ne distinguais plus grand chose d’intelligible ...j’allais crever, voilà tout !

Pourtant, ce n’était pas encore mon heure ! J’était toujours vivant et le « protocole de désenvoûtement » poursuivait son cours . A l’évidence la publicité pour le maraboutage était loin d’être mensongère ! c’était du délire à cent pour sang ...J’irais pas me plaindre à « 60 millions deconsommateurs » , j’en avais pour mon argent ! 

Brrr, badaboum ,wrouam ... l’infernale corrida repartit sans prévenir et en marche arrière à la vitesse de 100 km à la seconde ; pensais avoir déjà vu le film ...pourtant bien des scènes étaient restées inédites... même pas racontables ... Epuisé ,aspiré ,culbuté ... en pleine surchauffe et désormais sous l’effet d’une fièvre paludique pernicieuse (salauds de moustiques !)   je me retrouvais à nouveau dans la pièce exiguë de l’HLM à appeler « ausecours », « au secours  » ... A la rescousse, une jeune femme ,maquillée de blanc ,que je n’avais pas encore remarqué ,portant un bonnet phrygien sur le crane et accroupie à contre jour dans un coin de ce capharnaüm ,juste entre un caïman gueule ouverte ,mais heureusement empaillé, et une espèce de totem de capsules de coca cola , se leva et se mis à agiter frénétiquement autour de moi la cloche au bruit aiguë qu’elle avait à la main ! Elle ondulait, me frôlait ,me murmurait à l’oreille , glissait entre mes jambes ...je défaillais.... Face à moi, un sceptre casse-tête à la main gauche, le marabout enleva ses lunettes de soleil et se mis à se balancer sur son siége de bambous ,respirant à grosses bouffées, en remuant les épaules de plus en plus fort ,tout en secouant la tête comme un possédée, ses yeux se révulsaient et tournaient dans les globes oculaires, je ne voyait plus que le nacre injecté de striures rouges et sanglantes , tout à coup il se mit à psalmodier dans une langue éraillée puis à pousser des cris stridents (étrangement aiguës pour son male organe vocal et tout à fait intranscriptibles ici!) ,de la bave moussante à l’encoignure des lèvres et des coulées de sueurs sur son visage convulsionné ...au paroxysme de la transe ,la jeune femme en boubou haute couture sortie d’une cage en bois un poulet famélique et déplumé et cuic... lui sectionna le cou sans autre forme de procès ; les premières gouttes du liquide vermillon giclèrent sur le tissu immaculé posé face au marabout ...à gros bouillon le reste du sang du volatile , bientôt exsangue , se déversa dans une carapace de tortue depuis longtemps désertée ...j’étais terrifié !

Aussitôt , Kaba Mombolo réduisit en poudre mes rognures d’ongles, mes poils et le reste avec un os de sèche et quelques herbes ,pour les mélanger avec le sang de l’infortuné gallinacé , et s’approcha de moi (je n’en menais pas large !) prononçant les incantations à répéter tout en m’aspergeant le visage, les mains et les avant bras de cette mixture puante et dégoulinante .Cette fois tout à fait terrorisé , prêt à vomir ,je répétais après lui : « « j’attire le succès et l’amour des gens », « les ciseaux attaques les groupes concurrents et les programmateurs indifférents  », « les aimants charmes les gens et les aiguilles aident à les faire venir » ,ou encore «  Pour avoir du succès, soyez talentueux jeune et intelligent et sachez flatter les cons!» et bien d’autres inepties  ...

Puis il se dirigea vers le drap taché de sang posée sur son bureau tout en agitant ses talismans , ses yeux exorbités scrutaient les ellipses que les éclaboussures dessinaient sur le cercle et la croix ... avant de se figer dans la position d’ un danseur de Dooplé , les genoux fléchis et les paumes des mains offertes ...Je compris que la séance arrivait à son terme  .pour être franc , il était temps ! sale ,poisseux, vidé ,apeuré je n’existais plus que flottant dans un ectoplasmique  liquide visqueux avec le risque de disparaître définitivement dans une faille spatio-temporel ... il fallait retrouver sans attendre une terre ferme et cartésienne  !

Heureusement tel un bon génie, le paternaliste et tout à fait professionnel monsieur Kaba Mombolo veillait sur moi, je sentais ses mains lourdes et franches se poser sur mes épaules puis flatter ma nuque de chien docile pour enfin me tapoter les joues... d’infimes puis de brusques picotements me ramenèrent lentement à la réalité ,du moins celle communément admise ...celle qui ne concerne que la simple partie émergée de l’iceberg ! la partie visible de la boîte noire ,dont le couvercle, il est vrai, est à ouvrir avec mille précautions car on ne traverse par les miroirs impunément! certains effets peuvent être irréversibles ! Quelques neurones restent d’autorité , sur le carreau quand ce n’est pas la raison toute entière !

Enfin, je me portais à peu prêt bien ... comme quelqu’un qui à la suite d’un saut à l’élastique du haut d’un pont romain, ou d’un bond dans le vide sans élastique du tout...se palpe ,s’étonne puis se réjouie d’être encore vivant ! Mais voilà qu’il m’apostrophe...« écoutez mon ami ! » ...encore saoul et atteint d’une surdité précoce ...je me concentrais ... il s’agissait de ne pas rater la moindre miettes du diagnostique maraboutique ...

Qu’allait-il me dire ? Outre l’interdiction de me laver pendant 24 heures ( je crue comprendre que toutes ablutions excessives pouvait annihiler la force bénéfique !) ,voici la prédiction  :

-« En apparence vous avez la baraka,l’écoulement de votre chance se place sous de bons augures » !

Ne demandant qu’à le croire , j’osais le solliciter plus précisément :

-« Est-ce que cette baraka va s’exercer dans ma carrière artistique ? »

Le marabout fronça les sourcils et gratta mécaniquement le dos du chat blanc en soulevant une épaisse poussière, avant de répondre : -« le succès sera d’une ampleur démesurée mais rien ne doit être laissé au hasard » ?

Whauooooo...C’était à peine croyable, une bouffée de chaleur fébrile me monte à la tête suivie d’ un fourmillement dans l’entre jambe...faisant durer le plaisir, je fixais la jeune assistante qui désormais affichait un sourire plastique et commercial d’hôtesse de l’air ! J’en voulais encore plus ...hum...des détails ; j’ n’allais pas mégoter si prêt du but ! Suspendu à ses lèvres je lui posais la question cruciale :

« Vais-je enfin composer de bonnes chansons ? Enfin...euh.. .des tubes et gagner de l’argent ? »

-« dés demain vous vous réveillerez avec d’admirables et d’inventives attentions porteuses . »  ajouta--il péremptoire .

.A ce stade de la conversation , j’admirais la constance ,l’abnégation et surtout l’amour du métier de monsieur Kaba Mombolo qui trouvait la force ,malgré la fatigue ,de répondre avec aplomb aux questions les plus farfelus que je n’aurais jamais osé poser à qui que ce soit d’autre .

Je renchérissais car un dilemme me taraudait : « Underground depuis le début ,vais- je devoir me compromettre et perdre ainsi ma « street credibility »  ? 

Changeant de physionomie ,le marabout consultait ses profondeurs intimes et bien tortueuses ... je le voyais faire des efforts démesurés tout en grimaces ,sueurs et soufflements....  Son timbre n’était plus qu’un murmure épuisé ... il faisait peine à voir !

-« ouf, ouf...vous aurait tendance à refuser la facilité, la médiocrité et le compromis, et relèverait avec bravoure les défis en dépit des circonstances périlleuses. . »

A peine rassuré par cette réponse qui annonçait sans crier gare des changements sans doutes radicaux et « périlleux » dans ma vie quotidienne ,je lançais comme une fragile bouteille à la mer :

« Quelles sacrifices vont être nécessaire pour briller au firmament ? »

D’un claquement de doigts de kaba Mombolo , la jeune fille fière du travail accompli , quitta d’un gracieux déhanchement (le fessier joliment synchronisé !) le cabinet ; la fin approchait, les plus belles pièces du décors se dérobaient... bien que presque aphone, la réplique du marabout fut sans appel !

-« Hun ,hun ...les changements vont être progressifs mais risqués pour votre vie sentimentale et professionnelle et le travail sera démesuré ...Hun ,hun , cependant vous pouvez vous reposer sur vos amis proches et votre guitariste Africain ! n’oubliez pas que votre style doit être désormais plus proche de la coolitude...entre chanson française ,rythmes chaloupés et consonances jazzy, oufff... »

c’était tout à fait bluffant, d’une précision diabolique ! Où avait-il eu ces informations ? je n’eu pas le temps de lui demander ... car désormais soucieux ,presque agacé ,il asséna plein d’affliction  en m’indiquant la porte d’un geste sec:

-« Ouiii...il serait temps que vous vous interrogiez sur ce qui est le plus important pour vous ! Mais pour cela conservez votre calme ! attendez demain au réveil et tout sera plus clair dans votre esprit !Au revoir mon ami ! »  . Son ancestral fond de commerce à n’utiliser qu’avec parcimonie ! Je compris qu’il n’en dévoilerait pas plus ... il tourna la tête avant de s’écraser amorphe dans son fauteuil en bambou... tenant à conserver son genre de mystère !

Je vous vois venir narquois , incrédule ,du style à qui on ne la fait pas ! pour me rétorquer que ces réponses évasives, confuses et parfois ambiguës n‘ engageaient ,de toutes les façons, en rien le marabout ! Elles ne faisaient qu’ enfoncer par d’habiles tours de passe passe rhétoriques d’évidentes portes ouvertes, ne laissaient le champ libre qu’à des interprétations multiples, d’un niveau, somme toute , ne dépassant pas le b.a.ba de la voyance...malgré cela , j’étais prêt à le croire sans réserve et tant pis si les piquants détails provenaient sans doutes de mon site internet (qu’il avait largement eu le temps de consulter pendant mon trajet !). L’homme est croyant ou ne postule qu’à croire et résiste peu au flatteur appel des chimères ,surtout si il a donné de sa personne ,de son temps et de son argent . Ainsi, en victime volontaire, je me laissait étourdir par « l’effet barnum », ce travers désespérément humain qui fait prendre les prédictions plus ou moins habilement personnalisées des bonimenteurs comme des lectures pertinentes de son propre destin voire comme des indications prophétiques qui pourraient aussitôt le modifier ! Je devenais ce gogo satisfait auréolé d’une naïve confiance ... attendant la belle échappée vers le succès ! Il faut dire que le débonnaire marabout , Kaba mombolo ,possédait une assistante et des charmes tout à fait ...hummm... stupéfiants ! J’avais trouvé un bon dealer !

La séance était bien finie ... Je regagnais l’avenue désertée, personne ne me voyait , c’était toujours le voile sombre... je longeais le parking ...mon corps penché se reflétait sur les murs murant l’ ombre d’un géant décharné ... J’ouvrais vite la portière, m’engouffrais à la hâte... laissant derrière moi l’immeuble Youri Gagarine qui jamais n’ira à Baïkonour  le peuple désormais sans cris de l’Avenue de la Commune de Paris , les tristes épines de béton de la cité du Pin Pointu ... pour un chemin en sens inverse chargé de promesses  ... Las ,je calais au premier croisement ! Une chose au moins n’avait pas changé, je conduisais toujours aussi mal ! Au dessus de moi des albatros regagnant la mer du Nord d’un lourd et rapide vol plané , m’accompagnaient de leurs sifflements ricaneurs !

Luc DMK décembre 2005

"distorsions narcissiques "

 

« Les passions font moins de mal que l'ennui, car les passions tendent toujours à diminuer, tandis que l'ennui tend toujours à s'accroître. »   Jules Barbey d’Aurevilly

Le voyant rouge clignotait dans la demi l’obscurité blafarde de l’appartement à peine éclairé par les néons extérieurs ...Il était 22 heures quand il pressa sur la touche « messages », mu par un sale pressentiment ,il hésita quelques secondes ...L’appel claqua comme un uppercut : « Au secours, help me ...Nous partons cette nuit à cause de la police ...Paris ,Pigalle ...Je ne veux pas...je ne veux plus! They want kill me, s’il te plait aide moi ,aide Ginka , ton amie Ginka...please, je ne veux pas mourir ! ».Les courtes phrases affolées et crachotées, résonnaient dans la pièce , rebondissaient en écho sur les murs avant de se vriller dans son crane . Sonné, il ne réalisait pas très bien,ces dernières heures  tout s’était passé bien trop vite! Il essayait portant d’analyser chaque mots, chaque expressions ... Que lui était-il arrivé ? Où était-elle ? des scénarios en flashs violents se bousculaient: Il la voyait au bord d’un précipice poussée par une force invisible comme aspirée par le vide, les mains en sang essayant vainement de s’agripper une rambarde, coincée entre deux proxos la face tuméfié à l’arrière d’une Mercedes ! menottée dans un car de police en route vers un centre de rétention ! Seule sur les Grands Boulevards au milieu d’une meute de clients ricanants et menaçants ! Il crue devenir fou !

A l’abattement succéda la colère puis la panique, que devait-il faire ? sans réponses précises , il se précipita vers la salle de bain, se dénuda ...Ouvrit le jet, le laissa volontairement couler jusqu’à ce qu’il devienne brûlant à se faire rougir les chairs ...sous la douche rien ne pouvait l’atteindre. Une épaisse buée formait autour de son corps un nuage de protection; en totale immersion, les yeux clos, la bouche entre ouverte, la peau inondée, il savourait ces moments de plaisirs suspendus et hors du temps, reculant le plus loin possible l’instant où il fermerait les robinets...Mais passées les premières minutes, il savait que la sensation de bien être sensuel, quand la brûlure n’est que jouissance, s’estomperait aussi vite qu’elle était apparue, pour devenir hélas peu à peu douloureuse, insupportable... l’arrêt du filet d’eau sur son corps écarlate, le laissait à nouveau nu et solitaire .jetant une serviette sur ses épaules avant d’ allumer une clope qui le fit tousser et qu’il écrasa aussitôt ! il alla s’asseoir sur le rebord émaillé de la baignoire, se pris la tête entre les deux mains, ses larmes amères se mélangeaient avec les minces rigoles qui coulaient de la chevelure vers le front rougi aux rides de plus en plus creusées.La réalité se présentait à nouveau crue et implacable; il devait agir, mais comment ?

A force de s’agiter sans véritable but dans cette pièce exiguë, de s’asseoir, de se relever pour se rasseoir à nouveau ...une sensation d’étouffement...il fallait à tout prix qu’il sorte !

Là sur le trottoir, dans le frimas nocturne ,il se mit à douter, à vrai dire, il n’y croyait plus ! Avait-elle suffisamment compté pour lui, autrement que dans quelques courts moments de plaisir fugace ? ailleurs que dans une mince interstice de sa mémoire qu’il pouvait espérer colmater sans dommages excessifs? d’ailleurs avait-elle seulement existé? A ce moment précis il aurait aimé hurler que non !

La rue lui apparaissait hostile, menaçante ! Lui même, les cheveux encore humides n’aurait pas dépareillé dans un cortège de freaks... Ses yeux roulaient dans leurs orbites, s’affolaient apeurés au passage du moindre véhicule ... à chaque fois son corps sursautait comme victime d’un court électrochoc .Les spectres au jaune métallique, blême et sale des phares, labouraient, ronds et angulaires, la demie obscurité pour s’accrochaient à ses vêtements, irradiaient sa face crispée par l’ angoisse ... d’un réflexe ses paupières se refermèrent et une couleur orage striée de taches clignotantes et furtives, inonda épaisse et chaude son chant de vision intime .Un court instant il crue reconnaître la silhouette implorante de la jeune fille. Inutile de nier l’évidence, il ne pouvait plus fuir ni occulter l’existence de Ginka Trifonova. Il ne trouverait plus jamais en paix, la violence était bien trop forte . La peur le rongeait ,elle venait non seulement d’un péril qu’il sentait imminent mais aussi de lui même, de sa veule impuissance sur laquelle par propension naturelle au désastre il ne cessait égoïstement de s’apitoyer ! au bout de quelques minutes d’une absence habitée,ses traits se relâchèrent, c’était à peine perceptible, mais il avait changé, à présent un masque dure et décidé, presque cruel ,lui déformait les traits ! les lâches des films noirs qui d’ailleurs finissaient toujours assassinés ce n’était pas sa destinée ou du moins celle qu’il avait imaginée ...Il serait aussi redoutable que Kayser Söze dans "u sual suspects, "aussi classe que christopher walken dans « The the king of New-York »  ...Il essayait de s'en persuader!

Recherchant alors fébrilement au fond de sa poche les clefs du véhicule, les empoignant avec force à se faire blanchir les ongles, comme s’il voulait laisser leurs empreintes sur sa paume; il s’ engouffra dans la voiture ... Jeta son sac de voyage rempli à la hâte sur la banquette arrière, balaya d’un geste de la main le velours noir du siège passager, faisant voler les cendres , des films plastiques et des boulettes de papiers avant d’y déposer son portable et les deux photographies qu’il avait choisi parmi la demi-douzaine de clichés qu’il possédait...Quelques miettes de temps volées :Ginka marchant sur la plage, traversant un pont, avançant dans son objectif , émouvante dans son haut moulant et son jeans taille basse; ses yeux d'un vert intense pétillants d’une fraîcheur, d’un désir insatiable de vivre. Les photos étaient un peu troubles ...Ce jour là , il avait tremblé !

Au second tour de clef le moteur crachota puis ronronna ... Il s’efforça de penser à un plan, de maîtriser la tourmente qui l’oppressait ! Conduire lui faisait du bien. Il prenait désormais conscience que cette entreprise l’entraînerait vers un monde borderline jalonné d’obstacles où les ombres des voitures, les porches penchés des immeubles, les bordures des trottoirs, les intersections en angle mort deviendraient des dangers potentiels voire des piéges fatals!Le délire le repris, à tous moment Il s’attendait à ce qu’ un kamikaze suffisamment désespéré se jette sous ses roues, qu’un bolide le percute en collision hollywoodienne dans les explosions d’essence ,que des tueurs de la mafia bulgare lui tendent une bien improbable embuscade à balles réelles. Mais à cette heure de la soirée, les rues de ce quartier bourgeois réservé aux classes moyennes d’ordinaires somnolentes étaient suivant la règle «Il est minuit et tout va bien,  dormez braves gens ! » tout à fait calme, à distance respectable des "classes dangeureuses" banlieusardes.Même la fête foraine annuelle avait été repoussée le long du canal Exutoire (au prix il est vrai du sacrifice de quelques arbres quinquagénaires !) à la demande de riverains grincheux et de plus en plus acariâtres, se plaignant du tapage festif ! d’ailleurs pas un seul bâton de barbe à papa en obstacle sur les trottoirs, de pétarades de carabines à plomb ni de beat technoïdes outranciers ne déchiraient le silence de l’ennui...
Le seul danger potentiel dans l’état ou il se trouvait, c’était lui ! ne se voulant à priori aucun mal, il fut un moment soulagé !

Quand il rejoignit enfin la rue principale, il secoua la tête, ravala la rare salive de sa bouche desséchée avant de respirer à pleins poumons, se massa la nuque tout en relâchant ses muscles beaucoup trop tendus .Le halo pisseux des néons urbains qui traversait les vitres lui redonna un élan d’énergie, il quitta la position recroquevillée d’un déploiement grinçant de colonne vertébrale comme un plante verte trop longtemps sevrée de synthèse chlorophyllienne se déplie vers un ténu filet de lumière, tapota le volant comme pour déchirer le voile invisible de torpeur qui le paralysait et tenta une courte percée vers la joie, à ce moment précis peut-être même qu’il pensa à une chanson, qu’il en fredonna quelques brides, en rechercha le message ... En fut peut-être et sans doute déçu ,mais il fallait faire vite, remplir le vide avant que l’angoisse  ne l’occupe à plein temps!

Plusieurs voitures circulaient sur les artères proches de la rocade ,concentré sur le rythme de la circulation, il les suivait en douceur, caressait les pédales sans accoues inutiles en prenant soin de donner à son véhicule des mouvements précis et harmonieux qui le laissait glisser anonyme et fluide sur le ruban hypnotique de la file ondulante. Il n’était désormais qu’un automobiliste ordinaire ,seul avec les autres, dans une promiscuité quasi fraternelle.

Une fois sur les rails balisés de l’autoroute, se sentant beaucoup mieux, d’un geste franc, il déclencha la radio, chercha une fréquence précise ,s’arrêta sur le bulletin d’informations d’une station régionale. Le maire faisait une déclaration, aux premiers mots son attention se figea :
« La municipalité consciente des ses responsabilités et en accord avec les forces de police à permis ce matin de lancer une première opération d’envergure destinée à « nettoyer » le Parc des « Casernes de la Marines »de cette l'infâme et déshonorante prostitution qui flétrie l’honneur de notre ville et qui donne à certaines de nos rues l’aspect d’un infect cloaque. La municipalité unanime a été sensibleaux plaintes légitimes de riverains, qui en ont assez d'être troublés par la vision de ces activées avilissantes ... par les bruits et le passages des véhicules ... sans compter les préservatifs usagés que l'on retrouve sur la voie publique !Pensons à nos enfants ! »

En essuyant les gouttes de transpirations glacées qui coulaient à nouveau sur son front, il compris enfin les raisons du départ précipité de Ginka ! Sur les ondes, le notable renchérissait, une jubilation méprisable et hypocrite lui racla la gorge...
« Grâce à l'entrée en vigueur de la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars dernier, à présent toute "exhibition sexuelle",toutes formes de racolage seront passibles de fortes amendes et de peines d’emprisonnement en cas de flagrant délit manifeste et de reconductions à la frontière pour les délinquantes étrangères...Il s’agit éradiquer la Prostitution , de couper l'herbe sous le pied de proxénètes et des réseaux mafieux ! Nous feront de notre ville ,une ville propre ! 

Le journaliste ,le genre de type qui essayait tant bien que mal de faire son boulot, (peut-être un stagiaire mal affranchi !) posa une question inattendue sur le bilan de l’opération, l’édile surpris et gêné hésita, toussota ...Consulta sans doutes du regard ses conseillers, pour déclarer beaucoup plus humblement qu’au début de son intervention :
-« euh...les arrestations ont été peu nombreuses, inutile ne le nier, il semblerait que les contrevenants aient été averti par une source encore inconnue de l’opération de police... » puis le ton redevint désagréable: « Mais je peux affirmer solennellement qu’à l’heure ou je vous parle plus aucunes activités délictueuses de cette nature ne se déroulent dans le secteur du parc... nous y veillerons  en totale coopération avec le Ministère de l’Intérieur ..."

D une pichenette rageuse il changea de fréquence... tout à coup sa propre histoire se mêlait à d’autres plus complexes dont il ne maîtrisait ni les codes, ni les enjeux si ce n’est celui du risque auquel il ne s’était aucunement préparé et faillit à nouveau renoncer et faire demi-tour vers la banale normalité, vers le vide des fausses apparences, de celles qui permettaient à chaque individu de se fondre dans la masse ,d’y enfouir ses plaies vives, ses hontes les moins avouables ...D’ailleurs personne n’en savait rien, ni même ne l’avais vu, il en était parfaitement sûr ! Tout cela n’aurait aucunes incidences... Rien qu’ une insolite et éphémère parenthèse, une trahison clandestine que le temps estomperait ,fatalement estomperait , fatalement ..
Il ne mit que trois heures pour rejoindre la capital ,une demi-heure de plus pour se stationner dans le quartier de Pigalle entre un autocar de japonais et le mini-bus d’un Tour Opérateur allemand dont la cargaison hilare se dirigeait vers les néons agressifs des sex shops...

La première fois qu’il avait vue Ginka, il s’était senti envahir par une sensation inédite fasciné pas sa silhouette fine et élancée d’une félinité sauvage à peine retenue . Elle squattait un abris urbain avec cinq autres de ses compagnes, ses bottes rouges, ses bas à mi-cuisse et son blouson de skaï noir accentuaient encore son allure de Lolita terrible et prédatrice ! Elle semblait s’amuser avec les gestes francs, vifs et gracieux d’une jeune femme à peine sortie de l’adolescence ; toutes affichaient avec leurs sacs à dos fashion, leurs lecteurs MP3 et leur désinvolture souriante, l’allure presque parfaite d’étudiantes en transit revenant du lycée ou de la fac en partance vers le casting d’une quelconque émission de TV réalité ! Mais il y avait comme une anomalie perturbatrice, une faille dérangeante ...Ce n’est qu’après qu’il remarqua les jambes nerveuses et affolées gainées de bas noirs sous des jupes trop courtes ou dans des pantalons trop serrées et les décolletés exagérés qui faisaient un écrin de chair blanche aux maquillages racoleurs et un peu trop vulgaires pour des filles de cet age.. derrière les faux semblants se cachait une vérité brute qu’il refusait encore de voir .Rien n’était naturel, ni les éclats de rires et leurs candeurs empruntées, ni les gestes sans équivoque à destination des passants masculins, ni la lente file de voitures qui donnaient au jardin public le spectacle d’un ballet malsain et tournoyant ou s’activaient des fourmis besogneuses ...Les filles montaient et disparaissaient dans les véhicules pour réapparaître une quinzaine de minutes plus tard ! La ronde n’avait plus rien d’enfantin !

Prenant conscience du malaise, il n’avait pas osé s’arrêter au premier passage, ni même au second, au troisième il hésitait encore ... Ce n’est qu’au quatrième tour qu’ il s’enhardie, fasciné, aspiré! La pulsion était trop forte ...Il activa le clignotant pour laisser le véhicule sortir du marécage carbonique et glisser comme un crocodile le long du trottoir ,deux roues dans le caniveau... Dans la bande de filles agitées, il désigna du doigt et du regard Ginka, les autres se détournèrent aussitôt désintéressées, disponibles à d’autres  ...
A peine farouches, ses yeux verts pétillants le jaugeaient, derrière une mèche de cheveux châtains mi longs, un peu à la garçonne...Il était pris au piége, aucun échappatoire. Elle adopta aussitôt une attitude à la fois distante et décomplexée afin de le mettre en confiance mais il sentait bien qu’elle restait sur le qui vive ! Lui même gagné par la nervosité , bégaya au moment du choix de la prestation. Sans gène apparente, elle lui fit répéter avant de monter avec lui dans le ronde pressante pour aller s’échouer quelques centaines de mètres plus loin sur un parking en rénovation   dont les plots rouges et blancs de l’accès avaient été déplacés !

Là sur la banquette arrière, dans les claquements de portières, les coups de freins, les arrêts brusques, les conversations sèches et brèves ... Il ressentit pour la première fois cette violence diffuse, ce quiproquo définitif ! Attiré ici par une image de papier glacé, celle désincarnée et onirique de la femme idéale entre image pieuse et jouet sexuel choisi ; il espérait y trouver une sexe universel exutoire de ses fantasmes où il déverserait sans honte son trop-plein de frustration .Devant lui une gamine indifférente, déjà absente faisait glisser ses collants sur ses bottes rouges de marque, sans émotion cliquait sur les pressions de son string pour dévoiler la fente...C’était simple sans glamour ni affect, bien loin du vertige sensuel désiré ! Il n’avait cru qu’à une chimère !

Il comprit à cet instant qu’il n’aurait qu’un plaisir de consommateur, tarifé et réglementé en quasi code du travail d’un « MacDonald du sexe » à appliquer à la lettre...Client d’ une machine aux engrenages d’une terrible simplicité physiologique . C’était le deal, la transaction , il n’avait payé que pour la location de ses organes, des pièces détachées pour coït sans mémoire .
Elle dégagea le sexe de l’homme, le palpa machinalement avant de le gainer d’un préservatif ...Désormais à peine concernée, elle retroussa sa jupe et la roula aux dessus de ses hanches, esquissa un vague sourire  avant de pivoter vers la portière, s’agrippa à la poignée et prit la pause, le regard vers l’extérieur... Le vent qui jouait avec les feuilles des arbres dans la demi pénombre semblait à peine la distraire, sans doutes qu’elle aurait aimer fendre l’air, traverser l'horizon pour se laisser griser par les chaleurs solaires en pointillées qui s’écroulait derrière les murs graffités et brûlés du parking...Les cuisses frémissantes et l’orifice offert, elle ne put que murmurer un déconcertant et incongru "love me baby"...Il pouvait disposer de la marchandise. Le corps était superbe, çà ne sera pas difficile ! Comme devant un film porno en 3D, il s’abandonna à un auto-érotisme frustre, animale ....En « professionnelle », elle recula les fesses, frotta sa chair de femme contre le sexe d’homme comme pour vérifier la tension du plastique et  lança un brutal et inattendu «  come on ! » . L’homme sentit à nouveau la faille, le regret au fond de la gorge ,rien qu’un miaulement de chat blessé qu’un client ordinaire n’aurait pu percevoir.
Quand il la pénétra, elle tressaillit à peine puis agita ses hanches d’un mouvement d’automate, à chaque accélération ses reins se creusaient exagérant la cambrure, ses muqueuses se contractaient ... ça ne devait pas durer. Corps qui se cognent...plaisir mécanique...combat de deux organes désincarnés...arythmie des frottements en saccades...mal au sexe...toujours sur ses gardes...manque de chaleur... esquisse de caresses...imprécises ,inutiles...muscles qui se tendent ...souffles haletants .. simulacres de gémissements ... faux crescendo ... Il voulait, il voulait, mais n’obtint rien qu’un râle obscène , une brûlure gênante , sans plaisir. Rien qu’un coït heurté, loin d’une lente montée en spirale vers la totale volupté  ... Rien qu’une ignoble sensation de s’être branlé dans un objet presque inerte sans conscience ni émotions !

Pourtant quand elle se retourna en esquissant un sourire d’ une innocence juvénile, il la crut sincère !  Sans dégoût elle épongea les salissures puis se réajusta, ne semblant même pas lui en vouloir... iI préféra à cet instant ne pas connaître le fond des ses pensées  !

Pendant qu’ils reprenaient la ronde pour retourner vers l’abris bus, la jeune fille sortie son portable pour émettre un simple"bip".... Il ne comprit que plus tard la fonction de ce cérémonial comptable auquel elle était tenue de satisfaire après chaque"passe"...
C’est peut-être poussé par une indicible pulsion de culpabilité qu’ il griffonna son numéro de téléphone et son émail sur le carton d’un paquet de cigarettes et qu’il lui tendit au moment ou elle ripait de la voiture . Plus agacée qu’ étonnée, elle le glissa sans rien dire dans son sac à dos...

Puis sa vie changea du tout au tout ! Il revint le lendemain et encore les autres jours . D’abord hésitante, Ginka était désormais la première, puis avec la bienveillante complicité des autres filles, la seule à se précipiter vers le véhicule. Un peu à l’écart du parc, dans les rues adjacentes qui accueillaient leur relation clandestine et novice, ils se conduisaient comme des amoureux furtifs ne tenant plus guère aux relations sexuelles poussées ! Ginka et cet homme qui pouvait avoir deux fois son age restaient enlacés dans une communication quasi silencieuse, apaisante ...Un repos singulier pour celle qui n’avait jusqu’alors connu que le coté obscur et brutal des relations homme/femme ...

Peu à peu les mots se toisèrent, s’apprivoisèrent puis se bousculèrent ...Lui même, s’habitua à son sabir qui mélangeait l’ Anglais, le Français et quelques mots d’Allemand et de néerlandais ...Elle livrait alors en proie à une indicible mélancolie mêlée d’ une sourde colère quelques brides de sa vie: Les deux gitans en Mercedes rouge clinquante arrivant au village, les visages fermés des vieux qui se détournaient et crachaient par terre, l’arrêt grinçant et menaçant sur les graviers, le sourire crispé et révérencieux de sa mère sur le perron et la surprise quand elle avait laisser rentrer ces deux hommes trop bien habillés, la discussion sourde dans la cuisine ou ils s’étaient isolés, la sensation bizarre que son sort en dépendait. le choc quand sa mère d’une voix blanche lui avait ordonné sans aucunes explications, si ce n’est la promesse d’un vague travail à l’étranger, de partir avec les deux inconnus. Puis ce fut l’inéluctable engrenage vers le bout de la nuit : les papiers confisqués, l’enfermement ,les mensonges et les sévices, le transfert interminable de Sofia à Bruxelles le jour de la Saint Valentin, comme un sale clin d'oeil du destin et encore la pluie, le froid ,les trottoirs à arpenter une peur terrible cognant dans le ventre, les premières passes ...Dégueulasses ... Et encore d’autres déplacements, d’autres pays de l’espace Schengen, d’autres trottoirs, d’autres clients ,toujours les mêmes. Elle n’avait compris que plus tard, que sa mère l’ avait vendu comme un vulgaire morceau de viande ...

Revenant à la surface son enfance si proche et si lointaine était parcourue en courtes séquences idylliques. Avec candeur elle évoquait la beauté de son village  de Bojentsi à l’orée de la forêt et des montagnes dans un pli discret de la chaîne balkanique, ses jeux au bord de la petite rivière de Tryavna au milieu des essaims d’abeilles tournoyantes et des cerf volants en papier ...Rien ne pouvait être aussi beau et doux que sa vie fruste et heureuse sur les chemins défoncées du hameau ou elle croisait alors moins de voitures que de carrioles à cheval et de tracteurs soviétiques rouillés. Ginka lui confia même avec une évidente jubilation les péripéties des ses premiers amours d’adolescente, le goût salé des baisers volés , ces caresses maladroites aux éclats cuivrés d’une fanfare balkanique tourbillonnante lancée comme un cheval en plein galop et dévalant les collines pour rejoindre les échoppes colorées du village en fête...Elle avait alors l’humeur voyageuse !

Parfois dans la plénitude des ces moments volés, elle entonnait a cappella un chant haïdouk au timbre franc, sans vibrato, d’une aisance mystérieuse ! Des paroles en slave lancées à la gloire de Krali Marko , héros de chansons épiques bulgares d’une force surhumaine car il avait sucé le lait d’une nymphe (elle lui avait jurée crachée que c’était vrai!) .Sur son cheval ailé, il franchissait les montagnes, combattait les oppresseurs , libérait les soumises. Elle l'attendait!

Krali Marko à la force de titan
li
bère les femmes esclaves
dég
aine son sabre rouillé
e
ntre dans la froide taverne
p
arle doucement sans courroux
j
etez donc ce voile noir !

la mélodie se terminait sur une mélopée répétée en boucle «  puisse tu nous délivrer d’ici ! puisse tu nous délivrer d’ici !» ; c’était son passage préféré...Il n’y avait pas grand chose à rajouter !

Pourtant elle était forte, d’une incroyable appétit de vivre... Il l’avait vu refuser des clients dans les claquements de portières, tenir tête à l’homme de main du proxos qui la molestait, de son corps tendu et de son regard incandescent, émanait alors une aura de haine terrible, capable de glacer sur place ceux à qui ils s’adressaient !

Avec lui, elle était victime de fréquents changements d'humeur ... Toujours cette faille... Il suffisait d’un mot anodin, d’une moquerie, d’une allusion ,d’un rien pour que tout bascule et ramène à la surface la blessure incurable de ses sentiments en charpie . Elle prenait aussitôt la mouche ,s’énervait, laissait couler quelques larmes de gamine blessée, violée dans son amour propre, les ongles rongés au sang ,comme si il venait de salir le lien invisible qui les unissait  ! Puis la rancoeur volatile , elle pardonnait ...

Pendant les rares heures ou elle pouvait échapper à la vigilance des gardes du corps, ils improvisaient des courtes promenades dans les cordons dunaires, piétinaient par jeu sous leur pas craquants les coquillages vides de l’estran, couraient dans les champs d’oyats, sur les jetées balayées par les marées, cherchaient refuge sous les ombres penchées des éoliennes ...
Un jeudi, au moment de l’embraser alors qu’il la caressait pudiquement au dessus d’un t-shirt à l’effigie d’une marque de parfum, elle recula par réflexe dans un rictus de douleur , désemparée ,elle lui montra les marques bleues et violacées qui lui striaient le ventre et les bras , laissées là par les kapos du souteneur ! Elle lui hurla humiliée qu’elle en avait assez de cette vie qui tombait en ruines qui l’abîmait, l’entraînait vers l’abîme... Qu’elle savait bien ce que désiraient entendre les hommes :« tu sais je n’écoute pas ce qu’ils disent. Ils sont tous beaux... ils ont tous la plus belle queue qu’on aie jamais vue ...Et tu veux savoir ce qu’ils veulent avant tout ? »
par faiblesse peut-être ! il n’avait rien répondu , attendant d’être rentré chez lui pour pleurer .c’ n’était qu’un homme !
Lors de leurs dernières rencontres , elle semblait toujours plus triste, plus irritable aussi ... Les nerfs à vif, elle ne chantait plus, la souffrance lui enrouait la voix...Le lien ténu se défaisait par touches imperceptibles et bien souvent la main masculine ne se refermait que sur du vide !

C’est un début de lundi après midi maussade vers 14 heures (une de ses heures habituelles !) que tout a basculé : dés les premières secondes où son champ de vision cerna l’abris bus ... Il ne put que constater l’évidente anormalité de la situation :
-Ginka fait des grands gestes de girouettes ,tournoie sur elle même comme une toupie ivre au son d’un orchestre invisible , déjà un attroupement... Puis d’une pulsion excentrique, sans la moindre hésitation, se jette sur le macadam ; une BMW pile à quelques centimètres d'elle, le chauffeur surpris bondit, l’interpelle , la bouscule ,les sbires du proxo s’en mêlent ,les insultent fusent... Il ne voit pas bien, mais peut être aussi des coups ... Paniquée, les yeux rougis ,les cheveux en bataille, les bras ouverts sur le vide son regard cherche, aperçoit sa voiture , crie quelques mots ...Mais il l’entend mal, ne la comprend pas ! elle coure vers lui , il a peur ...Un homme de mains attrape Ginka par le bras... Il accélère ...Elle reçoit une gifle puis d’autres en rafales... Tout cela le dépasse...Elle hurle son nom...Il a honte mais accélère encore !
Sur le chemin du retour ,dans le rétroviseur, le visage désespéré, dévasté de Ginka, ne voulait plus s’effacer...De ses deux poings ,il massacra le volant !

C’est le lendemain en rentrant chez lui vers 22 heures qu’il avait découvert le message enregistré 13h 24 minutes plus tôt .
A deux heures du matin il errait comme un chien fou Sur le Boulevard des Maréchaux, s’attendant à la voir sous chaque arrêt de bus, à chaque carrefour, chaque coin d’ombre ... Abordant chaque groupe de filles ,souvent en trio, deux pour protéger la troisième des cinglés en tout genre , comme lui. Une sorte d’assurance vie nivelée par le bas ,car une fois dans la bagnole la solidarité tribale devenait creuse, sans effet ... C’était un long chemin de croix jalonné de questions simples d’un Anglais tout à fait scolaire ...Nul... De refus brefs comme des couperets ,des fausses pistes rédhibitoires, de vains indices ! En désespoir de cause quand les mots lui manquaient les clichés devenaient sa dernière chance... Mais les coups d’oeil désabusés des plus compatissantes ne la reconnaissaient jamais ! Les filles étaient roumaines ,tchèques, ukrainiennes ,biélorusses ...Toute la misère de l’Est en « transition » vers le miroir aux alouettes de «   l’économie de marché »  venue s’échouer sur les trottoirs de l’Occident .Il en avait la nausée ! Ginka avait belle et bien disparu dans le ventre grouillant, puant et mortifère de la capitale...

Il traîna du coté de Pigalle la Blanche ,qui à cette heure ressemblait plus à une authentique cours de miracles qu’à un quartier touristique pour nippons en goguette .Boulevard de Clichy une créature à la Tolkien, un avorton sans age allongé en guenilles et privé de chaussures, dévorait à même le sol sur un bout de journal graisseux posé sur le trottoir une poignée de frites sans doutes tombées du Kebab d’à coté; il hésita à peine avant de l’enjamber et ne s’arrêta qu’une centaine de mètres plus loin Rue Victor Massé devant la vitrine solidement grillagée d’un magasin de guitares vintages, flasha sur une Gretch vert pomme un modèle Anniversary de 1959,ses mécaniques Schaller rutilantes, sa caisse en acajou du Brésil et sa table en érable laminé comme des promesses de volupté; il pensa à un de ses textes , « les anges en rase mottes ! » resté sans musique ; il se mit à rêver..Peut-être qu’ avec cette Gretsch !

Sans parachutes les joues gonflées
Sous un ciel lourd chargé d’antennes,
plongent en apnée dans l’air vicié
suffoqués par le kérosène

une banale erreur d’aiguillage, les détourne vers une voie de garage,
et c’est la chute en vols heurtés
vers l’ bitume ,les briques empilés

l’ombre portée des ailes noircie
par le carbone s’agrandit
tournoie, se noie et se replie
pour disparaître sans merci

Au carrefour se télescopent,
atterrissent en catastrophe
et se retrouvent au fond d’une cage
aux poignets des menottes
Les anges en rase motte !

Si parfois on les voie roder
près les lieux d’humanité
Se rapprochant l'oeil aux aguets
des chaleurs en pointillée
ils voudraient se laisser griser
goûter la vie et s’envoler !

Quand un travesti l’ accosta du coté de la rue des Martyrs ,juste au pied du Sacrée Coeur, le « tu viens chéri ! » le fit sursauter...Peut être la voix rauque ... Il ne put contrôler cette bouffée agressive qui montait en spirale . Oservant d’un regard noir la face anguleuse et indéfinie par l’excès de fond de tain et les cheveux plaqués en arrière qui en accentuaient encore l’ ambiguïté .Il ne le supporta pas quand la créature, écartant son manteau de fourrure synthétique, montra l’offre commerciale, un corps androgyne à la poitrine opulente gainé dans un body noir et rouge ... C'était l'interdit et son jumeau, le tout-permis, entre abcès sordide et fulgurance marginale  !
Il n’avait plus qu’ une envie, serrer à mains nues ce cou dans l’obscurité d’une porte cochère  à lui faire avaler la glotte...II fit un pas en avant les bras en étau . « Lâche moi, salaud...  Malade ! »... Courte lutte essoufflée, tissus qui se déchirent, talons qui se brisent ,coup de poing violent au plexus, le corps casé se replie dans l’ombre, disparaît...Pourquoi cette pulsion meurtrière ? La seule réponse  fut cette nouvelle cavalcade sur le bitume...
C’est rue Lépic qu’il aperçu Oleysia, sa chevelure blonde battue par les tentacules invisibles du vent nocturne encadrait un visage fin aux pommettes luisantes et rouges, le regard inquiet comme celui d’ une chasseuse craignant de devenir la proie; il fut tout de suite séduit ! Un parapluie bleu pétrole ouvert et négligemment posé sur l’épaule , ses longues jambes nues granulées par la chair de poule , lui aussi avait froid ! Elle racolait en mini-short rose devant l’entrée du 125 un peep show à la devanture crade , coincé entre un cyber sex couvert d’ affiches de messagerie rose soit disant haut de gamme et d’affiches récentes pour une soirée Démonia ,et le « show girl », un bar à entraîneuses aux vitres lourdement teintées ,encadrées de néons couleur sang avec scotché sur la porte et écrit au marqueur sur une feuille de format A4 :"Hotesses au choix!"Ignorant le barratin « attrape gogos " du rabatteur qui essayait de le saisir par le poignet; il s’approcha de la russe qui aussitôt força sur la pose aguicheuse ! Elle avait besoin de chaleur et surtout de monnaie !

Il ne l’interrogea pas, renonça même à exhiber les photos... çà ne servait plus à rien ! L’échange fut bref; le français rudimentaire de la jeune femme se limitait au jargon professionnel , c’est à dire quelques phrases alcoolisées ! « tu viens chérie...Rentre...Tu auras beaucoup de plaisir ! » ! Il n’en fallut pas plus pour assurer la prise. Le poisson était suicidaire, l'hameçon trop tentant  ...
Perchée sur des hauts talons genre « tour Eiffel   » à l’envers, Oleysia s’engouffra dans le couloir , trébucha en jurant en slave sur une aspérité de la moquette mauve défraîchie avant de disparaître derrière un double rideaux cramoisi borduré de guirlandes aux perles rouges douteuses. C'était plus fort que lui... Il fallait qu’il la suive..l'iincandescence des spots lui faisait du bien!

Un asiatique aux fines moustaches, approchant la quarantaine, avec des allures de petit caïd des années 70, le genre chemise hawaïenne ouverte sur chaîne en or et percing brillant à la narine, lisait derrière la caisse un bouquin de Lyndia Lunch et le regarda à peine quand il paya, prit les jetons, accepta les kleenex , lLui jeta un coup d’ oeil agacé quand il déclina le Poppers avant de se diriger d’instinct vers la cabine n°6, un cagibi sombre aux forts relents de détergents bon marché et de transpiration froide .Quand il s’installa sur l'inconfortable chaise en plastique face au rideau métallique encore fermé , une musique disco, liftée techno cheap, crachotait sans complexe dans un haut parleur plus du tout haute- fidélité. Il introduisit le jeton dans la fente ! Le panneau phtisique gémit en s'ouvrant au rythme de la minuterie tout à fait en décalage avec le beat de batterie électronique noyé dans la réverbération ;il grimaca...Derrière la glace sans tain la piste apparut !

Sur le socle pivotant au milieu de cabines ,la jeune russe gesticulait déjà, dessinait des cercles avec son bassin, faisait ressortir son anatomie avantageuse par des flexions de gymnastiques élémentaires. Pour l’instant elle lui tournait encore le dos. Il essaya d’apprivoiser l’ambiance électrique, de moduler son désir aux gestes désincarnés d’Oleysia. Le panneau se referma, s’ouvrit à nouveau dans les bruits des pièces qui tombent ; puis ce fut le grand jeu ...Rien que pour lui ! La danse devient plus lascive... effeuillage de tissus qui dégringolent ... lumière rouge...coups de croupe exagérés de poupée à ressorts ,stroboscopiques ... parade bestiale... intimité des chairs roses... corps écrasé sur la vitre...plaisir fugace...malaise... marché de dupes  ! Il se reboutonne à la hâte!Dans le couloir semi-circulaire  la porte claque sur son ombre fuyante  !
Ce n’était pas la chair de la femme ni le corps nu ondulant, qui l’ avaient dégoûtés, mais son propre reflet dans la glace,sa propre distorsion narcissique !

En sortant du 125, il courait encore, avant s’enfoncer vers la lumière rassurante d’un bar tabac, il s’alluma une clope, poussa du genoux la porte de « L’éclipse café » et se dirigea vers le comptoir de chêne patiné pas des générations de coudes alcoolisés. Au moment ou il allait commander, son attention accrocha la une d’un journal du soir, sur la manchette s’étalant en gros titres:

« Assassinat d’une jeune prostituée de l’ Est » 
"nouveau drame du trafic d’êtres humains  »

Il ne sembla pas étonné quand ses mains moites s’emparèrent malgré lui  du canard et posèrent devant lui une pièce d’un €, encore une fois la situation s’emballait, échappait à son contrôle...Il dévora l’article de la page 3 sans déglutir :
« Selon nos services il pourrait s’agir d’une jeune ressortissante bulgare entrée en France illégalement ..victime d’un règlement de compte ou exécutée par son réseau ...il existe encore des doutes sur son identité  »
suivait un cours signalement qu’il reconnu à contre-coeur!
« D’environ une vingtaine d’années pour 1m 65 ,les cheveux châtains ,les yeux verts ... Elle portait une veste de skaï noir et des bottes rouges, ce sont d’ailleurs ces dernières qui ont attiré l’attention des ouvriers revenant d’un chantier et qui ont fait vers 17 heures la macabre découverte du côté de la Porte de la Villette, sur un terrain vague rue de la Clôture..."
Et encore quelques détails inutiles,  sans plus aucunes importances : «  Elle aurait disparu depuis deux ans, les investigations des policiers bulgares en coopération avec leurs homologues occidentaux n’avaient rien donné malgré le signalement diffusé dans l’ensemble de l’espace Schengen »

Le pigiste embrayait sur des généralités entre compassion et complaisance alarmisme :

-« Depuis plusieurs années , les trafiquants albanais font venir des contingents entiers de jeunes femmes et d’adolescentes ,vendues pour environ 8 000 euros , séquestrées et forcées de se prostituer ; la plupart de ces nouvelles venues sont surveillées en permanence par des gardes du corps et doivent donner plus de 60 % leur recette aux trafiquants  après un travail d’abattage de parfois douze heures par jour. On considère que chaque prostituée rapporte, en moyenne, 150 000 euros par an à ceux qui organisent ce trafic .En cas d’interpellation et de condamnation  La plupart des trafiquants organisés en réseaux ne passent que deux à trois ans en prison, d’ailleurs une fois la peine purgée, ils ne sont que rarement expulsés..."

Comme un vol de charognards affamés quelques remarques sécuritaires en guise de requiem,  clôturaient l’article : « Fermeture de frontières... » ,« Sanctions exemplaires..» , « Expulsions massives..." A croire qu’il était tuyauté par les services de presse du Front National !
Il en avait assez lu, trop lu ! Cette histoire n’était presque plus la sienne !
Sur le moment il pensa se rendre à la police, dire qu’elle n’était pas une délinquante mais une jeune fille de 20 ans, qu’elle s’appelait Ginka Trifonova, qu’elle aimait rire, chanter...vivre ! Rien qu’un ange en rase motte forcé par ces salauds, la face salie et avilie d’ une macule servile qu’il n’avait pas su effacer . Qu’ il n’avait pas supporter sa propre incapacité à retrouver le sésame de ce corps détachée de son âme  ! Que c’est pour cela qu’il avait serré,les deux mains en anneau autour de son cou, qu’il l’avait tué  comme on achève par instinct un oiseau déchiqueté par un chat ! Parce qu’on a pas d’autres solutions...

Encore imprimées dans sa rétine, les différents figures de Ginka défilaient : Celle d’ une madone à la pitié christique, des larmes coulant sur les joues...Celle de sale humeur décidé à en découdre...Celle des mimiques infantiles qu’un fou rire naïf ramenait sans difficulté à la surface ...Celle d’une femme sensuelle à la douceur angélique, sauvage ...

Puis au ralenti dans sa mémoire à éclipse, le dernier visage de la jeune fille aussi surpris par la mort que par celui qui la donnait, se troubla comme prisonnier d’une vitre recouverte de buée...D’autres s’y superposèrent dans un morphing fascinant, kaléidoscopique et presque joyeux... Il vit alors Oleysia la jolie ukrainienne qui ressemblait tant à Ginka et à toutes les autres, toutes celles qu’il avait connu  : Marieka , André ,Tatiana ,Joanna Aradka, Vivenka et Cécilia ... Il ressentait un besoin incontrôlable de la revoir et commanda un café.C'est vrai qu'il était lâche!

Luc DMK Mars 2006